La Fabrique Culturelle

Quatre moments marquants dans l’histoire de l’art québécois

Bien que toute jeune, l’histoire du Québec a connu son lot d’événements majeurs qui ont changé à jamais le regard qu’on porte sur l’art. Parce que oui, l’art dérange. Il brasse les idées, secoue les institutions décisionnelles et passe des messages importants. Dans ce petit cours d’histoire de l’art en accéléré, nous vous proposons quatre œuvres-chocs qui ont marqué à jamais les esprits.

Refus global

Difficile, voire impossible, de passer à côté de cet événement majeur, qui ébranlera fortement la société québécoise.

C’est en août 1948 que paraît ce manifeste, qui aura l’effet d’une bombe et fera voir l’apport des artistes à la société d’une autre manière. Dans ce document imprimé en 400 exemplaires – lesquels s’envoleront dans le temps de le dire –, 15 artistes signataires, sous la direction du professeur Paul-Émile Borduas, crient leur soif de vivre, de liberté et de changement. À l’époque, c’est une véritable charge contre la société québécoise, qui, selon les artistes, est engoncée dans la religion et le confort des idées; des idées ne devant surtout pas trop déranger. Mais ces artistes veulent faire bouger les choses, et c’est au moyen de cette publication qu’elles et ils brasseront la cage des institutions et des mentalités aussi frileuses qu’embourgeoisées. Il s’agit d’une cassure franche et nette avec le Québec aux traditions vieillottes et à la mentalité «née ou né pour un petit pain». Il s’agit aussi une volonté d’embrasser (et d’embraser!) un Québec moderne, ouvert et le regard tourné vers l’avenir.

Composé d’une dizaine de textes et illustré par Jean-Paul Riopelle, le manifeste porte la griffe d’artistes qui feront les beaux jours de la culture québécoise, tant dans les arts visuels qu’au théâtre et en danse. On y trouve les noms suivants: Paul-Émile Borduas, Fernand Leduc, Muriel Guilbault, Madeleine Arbour, Marcel Barbeau, Thérèse Renaud, Jean-Paul Riopelle, Louise Renaud. Marcelle Ferron, Bruno Cormier, Françoise Sullivan, Jean-Paul Mousseau, Maurice Perron, Pierre Gauvreau, Claude Gauvreau et Françoise Riopelle.

Marquant les consciences, secouant les idées reçues et martelant avec force un message puissant, la publication de ce manifeste représente encore aujourd’hui un moment charnière dans l’histoire de la Belle Province. Avec le recul, et sans exagérer, on peut certainement affirmer que le Québec a connu un avant et un après-Refus global.

Pour approfondir le sujet, consultez nos dossiers:

https://www.lafabriqueculturelle.tv/dossiers/3922/refus-global-70-ans-apres/

https://www.lafabriqueculturelle.tv/articles/3939/refus-global-en-quelques-chiffres/

Voyez aussi nos capsules portant sur l’exposition La révolution Borduas: espaces et liberté, sur l’exposition Vibrato (mettant en vedette les œuvres de Marcel Barbeau) et sur une rencontre avec Françoise Sullivan:

«Vous êtes pas écœurés de mourir, bande de caves? C’est assez!»

S’il y a une phrase qui a marqué les esprits, c’est bien celle du poète Claude Péloquin, inscrite à jamais dans les annales de l’histoire du Québec. Il faut revenir en arrière de 48 années pour comprendre le contexte dans lequel une telle phrase a pu être inscrite sur les murs du Grand Théâtre de Québec.

Pour la petite histoire, c’est à Jordi Bonet, artiste muraliste d’origine catalane, qu’on confie à l’époque la tâche de créer une grande murale pour inaugurer un établissement culturel d’envergure: le Grand Théâtre de Québec. L’œuvre, un triptyque de 1115 mètres carrés en béton, aborde non seulement plusieurs thèmes résolument humanistes, comme la liberté (de parole ou d’exister) et la justice, mais également une notion de temporalité qui fait référence à l’aspect fragile de la vie humaine et, bien sûr, à la mort. C’est d’ailleurs à cela que fait référence la phrase-choc de Péloquin, qui, d’emblée, dit avoir voulu lancer «un cri d’amour à la face du monde». Mais la phrase passe mal sur le coup, et de nombreuses personnes sont secouées de la voir prendre place dans ce lieu d’art. Pourtant, pour les deux artistes en question, elle est un signal d’alarme contre la mort; un cri de vie.

Cette phrase aura fait de Claude Péloquin une figure unique de la poésie québécoise. À la mort du poète, l’an dernier, alors que de nombreux articles dans les médias soulignaient l’ensemble de son œuvre et offraient un dernier au revoir à l’artiste, ce sont ces mots frappants auxquels on a d’emblée fait référence.

Voyez aussi:

Corridart

À l’été 1976, la Ville de Montréal est en pleine effervescence grâce aux Jeux olympiques. Pour l’occasion, l’artiste Melvin Charney chapeaute une grande exposition comprenant 22 œuvres d’art public qui sont installées sur la rue Sherbrooke, entre Atwater et Pie-IX. L’exposition – inspirée par un thème porteur, soit le rôle de l’art dans la rue – est inaugurée le 7 juillet et présente des artistes aux pratiques variées. Parmi celles et ceux-ci, mentionnons Françoise Sullivan, Pierre Ayot, Bill Vazan et Cozic. Le «corridor d’art» créé par les artistes forme huit kilomètres d’œuvres uniques à voir gratuitement en pleine ville.

Mais, dans la nuit du 13 au 14 juillet, l’exposition est entièrement démantelée à la demande du maire Jean Drapeau. Selon certains médias, celui-ci déteste l’exposition, qu’il trouve «laide et obscène». En quelques jours, les œuvres sont complètement détruites à coups de bulldozers. C’est que Corridart ne plaît pas à certaines forces politiques en place, lesquelles s’organisent pour se débarrasser rapidement de cette galerie d’art en plein air.

En 2016, les commissaires Nicolas Mavrikakis et Marthe Carrier ont organisé une rétrospective de l’artiste Pierre Ayot, un événement qui a permis de faire à nouveau l’œuvre dérangeante conçue à l’époque par l’artiste. La croix du mont Royal a donc été reproduite aux coins des avenues des Pins et du Parc, à Montréal, ouvrant la conversation avec celle installée sur le mont Royal. Ironie du sort: alors que Corridart représente encore à ce jour un souvenir amer devant la censure d’une société qui, à l’époque, est encore teintée d’une pudeur toute religieuse, la reproduction de l’œuvre de Pierre Ayot a été aussi montrée du doigt par… l’Archevêché de Montréal. Même 42 ans plus tard, on constate qu’il est encore difficile d’aborder certains sujets…

Pour approfondir le sujet, consultez notre dossier sur la rétrospective Pierre Ayot et visionnez notre capsule sur la reproduction de La croix du mont Royalhttps://www.lafabriqueculturelle.tv/articles/941/retrospective-pierre-ayot-lart-qui-derange/

Voyez aussi: http://archivesdemontreal.com/2016/07/14/corridart-exposition-de-la-discorde/

Le roi de L’Anse

Saviez-vous qu’en 1997, les résidentes et résidents de L’Anse-Saint-Jean ont pris conjointement la décision de couronner un roi? En effet, cette histoire incroyable — mais totalement vraie — s’inscrit dans la démarche d’un artiste de la région: Denys Tremblay.

Professeur d’art à l’Université du Québec à Chicoutimi, l’enseignant et artiste lance à l’époque cette idée folle de créer une monarchie municipale dans le beau royaume du Saguenay afin de remettre de la vie, tant d’un point de vue financier que touristique, au cœur de cette région durement touchée par le déluge de 1996. Ainsi, il propose à la population de la ville de voter pour l’élire «roi municipal». Le 24 juin 1997, journée symbolique s’il en est une, c’est donc sous nom d’artiste — soit l’Illustre inconnu — qu’il est élu. L’événement amènera de nombreux médias de partout dans le monde à s’intéresser enfin à la région pour d’autres raisons que la catastrophe naturelle survenue l’année précédente.

La proposition, totalement loufoque, dévoile néanmoins une véritable réflexion sur le rôle de l’artiste. Selon Denys Tremblay, les artistes créent pour comprendre le monde et pour le rendre plus beau, plus vivable. Mais, d’après lui, c’est dans le réel qu’elles et ils doivent agir. Et c’est pour cette raison qu’il crée entre autres un really-made, figure parente du ready-made* de l’anticonformiste Marcel Duchamp.

Même si, après trois ans de «pouvoir», Denys Tremblay abdique finalement son rôle de roi, il demeure que son œuvre — entre performance, engagement politique et théâtralité — reste à ce jour l’une des plus saisissantes et des plus entières qu’il nous a été donné de voir au Québec.

Voyez ici notre rencontre avec Denys Tremblay:

  • Le ready-made (que l’on peut traduire par «prêt à l’emploi») est un objet que l’on décrète «œuvre d’art» par le simple fait qu’une ou un artiste le considère comme telle. Le ready-made le plus connu est certainement l’œuvre Fontaine (1917), un urinoir que Duchamp a simplement pris, installé à l’envers et signé d’un faux nom d’artiste, soit R. Mutt.