La Fabrique Culturelle

Cesse-t-on un jour de désirer ce que l’on a si ardemment voulu?

Une liste de lecture des Libraires

En complément à la deuxième saison des balados La vie secrète des libraires, nous avons demandé aux Libraires de nous suggérer d’autres livres qui tentent de répondre à la même question que celle posée dans l’enquête.

Les libraires ont également inclus quelques propositions éclair, selon les catégories suivantes:

· Même heure, même poste. Un livre québécois dans la même lignée que l’œuvre principale et qui répond à la question.
· Le monde à l’envers. Un livre québécois complètement différent de l’œuvre principale et qui ne répond pas à la question.
· En vers et en prose. Un titre québécois qui fait office de pendant poétique à l’œuvre principale si celle-ci est en prose, ou un titre québécois qui est un pendant prosaïque à l’œuvre principale si celle-ci est de la poésie.
· Autres temps, autres mœurs. Un titre québécois qui aborde les mêmes thèmes que l’œuvre principale, mais dont l’action se déroule à une époque antérieure (un livre historique, par exemple) ou ultérieure (comme un livre de science-fiction).
· Une image vaut mille mots. Un titre québécois qui aborde les mêmes thèmes que l’œuvre principale, mais du côté des albums jeunesse, des livres illustrés ou de la bande dessinée.
· Ça commence pareil. Un livre québécois, peu importe le genre, qui est jugé pertinent et dont la première lettre commence par la même lettre que l’œuvre principale.


Voici leurs propositions en relation avec l’épisode sur Les maisons, de Fanny Britt, où l’on posait la question suivante: cesse-t-on un jour de désirer ce que l’on a si ardemment voulu?

1. L’hiver de force, de Réjean Ducharme (Folio)

André et Nicole jouent à cache-cache avec leurs illusions. Pour les perdre définitivement, il leur faudrait mettre un terme à ce jeu puéril auquel ils s’adonnent avec une indécrottable naïveté, et que seule peut-être leur mauvaise foi saurait mater. N’ayant pas même la bonté de leur cœur à opposer à leur mauvaise fortune, ils se triturent et s’échinent, se lamentent et s’abandonnent, se torturent et s’ingénient à garder un semblant de dignité tout en dénonçant les faux-semblants de tout ce qui leur semble indigne, à commencer par eux-mêmes. L’espoir qu’ils placent en La Toune — déesse impraticable, inatteignable, volatile et cruelle — est d’un pathétique consommé; assumé; exhibé, même. Le monde au sein duquel ils évoluent semble dramatiquement borgne et, devant la platitude du fonne, ils jettent leur dévolu sur une forme de gérance d’estrade qui n’engage à rien, tout en érodant passablement le roc de leur amour-propre, ce qui les laisse au bout du compte Gros-Jean comme devant, carabiniers de l’atermoiement.

Catégories éclair

Propositions de Philippe Fortin, Librairie Marie-Laura (Jonquière)

2. Ferdinand F., 81 ans, chenille, de Mario Brassard (Soulières éditeur)

Les désirs les plus purs naissent à l’enfance, lorsque le monde reste à découvrir, mais vaut plus tôt que trop tard! Toutefois, les plus grandes déceptions vont souvent de pair avec nos plus grands rêves. C’est ce que Ferdinand expérimentera à son plus grand dam. Ferdinand F., 81 ans, chenille (Soulières éditeur, 2018) nous rappelle avec un peu d’absurdité le plus grand des drames: celui de la perte d’un ami, aussi imaginaire soit-il. Abandonné par son seul ami, Ferdinand F. deviendra, à l’instar de Tessa — l’héroïne de Fanny Britt — cynique et morose. Empêtrés dans une nostalgie de possibles, ces héros deviennent amers, oubliant la beauté qui se déploie autour d’eux.

3. Prague, de Maude Veilleux (Hamac)

Si, comme nous le montre la narratrice de Prague (Hamac, 2016), l’alter ego de Maude Veilleux vit dans l’unique moment présent, cela ne permet pas de développer nos désirs; rester pris dans le passé par nostalgie ou par regret peut nous ronger de l’intérieur, comme c’est le cas de Tessa et de Ferdinand. Le bonheur, c’est comme le vin: il faut le boire avant qu’il tourne au vinaigre, mais si on le consomme trop tôt, ça s’appelle quand même du jus de raisins!

Catégories éclair

  • Autres temps, autres mœurs: Ataraxie, de Karoline Georges (Alto)
  • Une image vaut mille mots: Paul à la maison, de Michel Rabagliati (La Pastèque)

Propositions de Marika B. Drapeau (Librairie Le Fureteur, Saint-Lambert)

4. Au 5e, de MP Boisvert (La Mèche)

«Alice ne laisse jamais partir personne.» Cette Alice invite son tout premier ex d’adolescence, Éloi — récemment séparé —, à emménager dans la chambre libre du 6 et demi au cinquième qu’elle partage avec ses amoureuses, Gaëlle et Camille, ainsi qu’avec Simon, qui, depuis deux ans, fait partie intégrante de cette famille choisie. Éloi voit bien comment sa présence au cinquième change la dynamique du quatuor; comment la présence d’un cinquième électron au sein de cet atome familial demande un ajustement, un nouvel équilibre à atteindre. De courts chapitres narrés tour à tour par chacun des personnages nous permettent d’être témoins de la formation de cet équilibre dans des moments presque photographiques, nous plongeant au cœur même du désir, de l’intimité, de la sexualité, de la jalousie et de la façon dont ces questions habitent chaque colocataire de manière parfois radicalement différente. MP Boisvert nous offre Au 5e, un premier roman rempli de douceur et duquel nous sortons en en désirant, nous aussi, encore plus.

Catégories éclair

Propositions de Catherine Bond (Librairie Fleury, Montréal)

5. C’est quand le bonheur?, de Martine Delvaux (Héliotrope)

Le roman autobiographique C’est quand le bonheur?, de Martine Delvaux, est un hymne à l’amitié exubérante entre la narratrice et un homme. Leur excentricité illumine le plus banal des événements, le fait ressortir comme un clair-obscur du fond noir de la vie. Au début, elle tente de gagner son cœur alors qu’il est en couple. La jalousie de cette autre femme allume son désir, qui deviendra inextinguible. La nature de leur amitié connaîtra de nombreux changements: amis au départ, ensuite amants, pour finir en une affection fraternelle puissante et indéfectible. Dans Les maisons, le désir est soulevé d’une passion de jeunesse magnifiée par un temps inchangé, car Francis personnifie le passé charnel et ardent; chez la protagoniste du roman de Delvaux, il est animé par la fougue et l’exaltation des sentiments.

L’acceptation des personnages de leur désir n’achève pas celui-ci, mais les fait plutôt grandir. Lorsque Tessa prend conscience du passage du temps et que cette perspective passionnelle n’était qu’un fantasme, ses regrets, qui motivaient un peu ses désirs, disparaissent. Pour ce qui est de la femme du roman C’est quand le bonheur?, la conciliation entre ses désirs et elle se produit dans l’inévitabilité d’une amitié mélodramatique, impossible à briser.

Catégories éclair

Propositions de Magalie Lapointe-Libier (Librairie Paulines, Montréal)

 

Photo de la une: freestocks via Unsplash