La Fabrique Culturelle

Que voulons-nous apprendre des plantes?

Petit guide de l’herboristerie politique

L’herboristerie, ce sont bien plus que les fameux remèdes de grands-mères. Aujourd’hui, cette pratique vieille de plusieurs millénaires est étudiée sous des angles sociopolitique, économique, anthropologique et philosophique par une myriade d’experts. Invitée de Cultiver l’humilité | M8jagen piwihozw8gan, la septième édition d’Orange, l’événement d’art actuel, qui bat son plein jusqu’au 11 septembre à Saint-Hyacinthe, l’herboriste et chercheuse postdoctorale Amélie-Anne Mailhot nous explique ce qu’est l’herboristerie politique.

L’évolution de l’herboristerie

Bien qu’il soit impossible de dater avec précision sa naissance, l’herboristerie fait partie de notre patrimoine collectif. Sur tous les continents, nos ancêtres nomades se nourrissaient de plantes et se soignaient avec elles. Ils ont vite compris que toutes leurs parties — racines, écorce, feuilles, bourgeons, fleurs, fruits, sève ou poix — pouvaient avoir des utilisations médicinales.

Au fil du temps, nous avons cherché à reconnaître les espèces végétales sans nous tromper, à les cultiver et à les cueillir au meilleur moment, puis à les transformer. Nous avons transmis nos connaissances sous forme de livres, de conférences et de bouche-à-oreille, ce qui a créé un réel engouement chez les ruraux et les citadins.

De nos jours, par contre, l’utilisation et la commercialisation des plantes ne sont pas toujours respectueuses de l’environnement et des traditions ancestrales, selon l’herboriste et chercheuse postdoctorale Amélie-Anne Mailhot. Cela serait en partie dû à notre société de performance et de surconsommation.

Selon elle, pour penser le végétal éthiquement, nous devrions miser sur ces quelques règles d’or de l’herboristerie politique.

1. Respecter l’interdépendance des espèces vivantes

Si nous voulons nous soigner avec les plantes, nous devons tout d’abord soigner les écosystèmes en comprenant que tous les êtres vivants sont en relation les uns avec les autres. La pollinisation est un exemple parlant: 30 % des aliments que nous consommons en dépendent directement, et 80 % des plantes à fleurs ont besoin des insectes pollinisateurs. Dans cette perspective, nous devons éviter de détruire massivement les milieux naturels pour les transformer en projets immobiliers, par exemple, car des formes de vie végétale et animale s’y cachent; des formes de vie essentielles au bien-être et à la santé de tous.

2. Adopter une posture anticolonialiste

Dans une perspective capitaliste, nous sommes plusieurs à nous intéresser aux plantes sauvages comestibles puisqu’elles sont gratuites, accessibles et souvent… monnayables! Selon Amélie-Anne Mailhot, nous devons cependant cesser nos pratiques extractives et colonialistes excessives — c’est-à-dire vouloir convertir à tout prix le vivant en capital —, pour réellement prendre soin de la Terre et de notre santé. «Les espèces végétales existent par elles-mêmes. Elles ont une liberté et une vie qui ne nous concernent pas», explique-t-elle. L’équilibre s’impose.

3. Reconnaître les connaissances traditionnelles autochtones

Au fil des années, les peuples autochtones ont identifié des centaines d’espèces de plantes (ainsi que des lichens, des champignons et des algues) propres à une utilisation médicinale. D’une communauté à l’autre, ils n’ont jamais cessé de pratiquer des traditions médicinales similaires ainsi que des méthodes de cueillette, d’utilisation et de préparation apparentées.
Malheureusement, certaines communautés sont parfois victimes de biopiraterie, un terme renvoyant à l’appropriation illégitime et abusive des ressources de la biodiversité et des connaissances traditionnelles autochtones qui y sont associées. «Avant de cueillir les plantes médicinales dans un espace donné, nous devons nous intéresser aux peuples autochtones, qui ont des revendications territoriales très précises», dit Amélie-Anne Mailhot. Ils sont souvent les gardiens des terres sur lesquelles nous circulons. Le respect et la collaboration sont les mots d’ordre.

4. Penser les jardins autrement

Contrairement à la croyance populaire, le potager n’est pas qu’un espace de culture sur lequel la main humaine peut intervenir. Les connaissances ancestrales, perpétuées entre autres par le peuple abénakis, permettent de concevoir le monde comme d’immenses jardins. Et ces jardins sont des écosystèmes complexes que nous pouvons soigner dans le respect de toutes les formes de vie qui les composent.

Si nous prenons le temps de bien nous renseigner, nous pouvons trouver des plantes médicinales à même les friches, les forêts, les battures, les boisés…

Des exemples notables:

  • Le plantain (la plante herbacée vivace, et non la banane!) pousse partout où il y a un peu de terre, autant dans nos villes et sur nos bords de route que dans nos prés. Loin d’être une «mauvaise herbe», elle a de nombreuses vertus thérapeutiques. Ses feuilles, lorsqu’elles sont mâchées et appliquées sur la peau, calment les réactions allergiques et les piqûres, tandis que ses graines servent de laxatif.
  • L’achillée millefeuille (mieux connue sous le nom d’herbe à dindes) pousse spontanément dans la nature. En plus d’avoir des propriétés cicatrisantes et anti-inflammatoires, cette plante comestible aide à contrôler les saignements, les douleurs menstruelles ainsi que les inconforts dus à la ménopause.

 

Comment pratiquer l’herboristerie politique?

Nous pouvons notamment nous tourner vers les connaissances des experts en la matière: l’herboriste thérapeute accréditée et conférencière à Orange Anny Schneider a notamment publié les ouvrages Plantes médicinales indigènes — Du Québec et du sud-est du Canada et Plantes sauvages médicinales: les reconnaître, les cueillir, les utiliser aux Éditions de l’Homme. À l’occasion de la journée de clôture d’Orange, le 11 septembre, Amélie-Anne Mailhot animera son atelier d’herboristerie politique au Jardin Daniel A. Séguin, à Saint-Hyacinthe. Le même jour, le porteur de savoirs w8banaki Michel Durand Nolett démystifiera les plantes médicinales indigènes au Boisé des Douze.

Une fois les connaissances acquises, nous pourrons faire une «trousse de premiers soins» à la maison, notamment constituée de tisanes, de sirops, de pommades et de teintures mères. «Avec l’herboristerie, nous nous assurons de maintenir la vitalité de notre corps. Contrairement à la médecine conventionnelle, nous misons davantage sur le préventif que sur le curatif», souligne Amélie-Anne Mailhot. Un peu comme avec la santé de notre belle planète bleue, finalement…


Orange 2022

Cultiver l’humilité | M8jagen piwihozw8gan, la septième édition d’Orange, l’événement d’art actuel, suit son cours jusqu’au 11 septembre, principalement à Saint-Hyacinthe, sur un territoire non cédé. Tous les détails se trouvent ici. Cet événement rassemble des artistes, des porteuses de savoir, des autrices, des conteuses, des intellectuelles, des guérisseuses, des cueilleuses, des artisanes et des chercheuses qui cultivent différents rapports au végétal et qui contribuent ainsi à enrichir, à complexifier, à nuancer et à démultiplier les possibilités de relations que nous, êtres humains, pouvons entretenir avec les plantes. Un espace virtuel expérimental, nommé La Friche, complète la programmation régulière.

 

CRÉDITS
Rédactrice: Édith Vallières
Coordonnatrice: Mélodie Turcotte
Technicienne en production: Elizabeth Lord
Photo de l’entête: © Annie France Leclerc, nous colorons, nous soignons, nous régénérons (détail), 2022, 7e édition, Orange, L’événement d’art actuel de Saint-Hyacinthe,  Cultiver l’humilité M8jagen piwihozw8gan. Photo: Paul Litherland.