La Fabrique Culturelle

Tissage de tradition et de création

Petite histoire de l’art textile

Depuis quelques années, l’apprentissage en ligne a la cote. Tricot, broderie, dentelle et bien d’autres pratiques se déploient sur Instagram, Facebook et TikTok. Dépassée, donc, l’image de la grand-mère qui tricote! Ce retour au geste et à la matière ne se cantonne pas à la sphère des loisirs; c’est également un moyen d’exploration et d’expression dans lequel plongent artistes et artisans.

 

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Au commencement, il y eut les Fermières

1.  Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ)

Bien avant les tutoriels sur le web, la transmission du savoir s’effectuait de génération en génération, par l’entremise des congrégations religieuses ainsi que des écoles ménagères. À l’époque, une femme se devait de connaître les rudiments du textile afin d’être une bonne épouse. Les temps ont bien changé!

C’est en 1915 qu’Alphonse Désilets, de l’École d’agriculture d’Oka, et Georges Bouchard, de l’École d’agriculture de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, fondent le premier Cercle de Fermières à Chicoutimi. On souhaite alors offrir aux femmes un espace de dialogue et de transmission des diverses techniques et connaissances liées à l’artisanat.

De région en région, des techniciennes voyagent dès lors pour transmettre leurs connaissances en lien avec les arts textiles.

2 et 3.  Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ)

Pendant près de 75 ans, le ministère de l’Agriculture financera la formation au sein des Cercles de Fermières. Aujourd’hui, ces organisations agissent de manière autonome, et plusieurs parmi elles ont fêté leur 100e anniversaire tout récemment.

Le numéro 13 de la Fédération 19 sur la Côte-Nord est l’un des Cercles de Fermières les plus anciens du Québec. En 2017, il a célébré ses 75 ans d’existence. Bien que la relève manque, les métiers à tisser, eux, ne dérougissent pas!

 

La transmission par la formation

4.  Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ)

L’importance des Cercles de Fermières dans l’apprentissage et la diffusion des connaissances des arts textiles est une évidence. L’engouement que suscitent ces regroupements amène rapidement une pénurie de ressources compétentes.

Ainsi, en 1930, l’École des arts paysans voit le jour. Elle deviendra ensuite l’École des arts domestiques et offrira une formation en transformation des fibres textiles et en tissage.

En 1985, l’École-atelier de textile et reliure de Québec — maintenant intégrée à la Maison des métiers d’art de Québec — voit le jour. En collaboration avec le Cégep Limoilou et le Centre de formation et de consultation en métiers d’art, elle devient responsable de la transmission des savoir-faire des arts textiles.

MMAQ © Llamaryon

 

De métier d’art à technique artistique

Dès 1941, les meilleures pièces textiles des artisans de la province circulent partout au pays et ailleurs dans le monde. Jean-Marie Gauvreau, fondateur de l’École du meuble de Montréal et de la Centrale d’artisanat du Québec, fonde alors, en 1955, ce qu’on appelle aujourd’hui le Salon des métiers d’art du Québec, à l’occasion duquel de nombreux artisans et artistes viennent présenter leurs œuvres au public.

C’est à partir des années 80 que les pratiques artistiques hybrides incluent le textile sous diverses formes. Celui-ci n’est plus uniquement utilitaire; il devient une technique artistique servant à transmettre des concepts et des prises de position. Il se greffe alors à d’autres procédés et devient multidisciplinaire.

 

CATHERINE LESSARD

Catherine Lessard, qui fait du fléché traditionnel aux doigts, en est un bon exemple. À partir d’une technique ancienne de fabrication artisanale de ceintures fléchées, l’artiste détourne l’usage originel de la ceinture pour véhiculer son discours.

«Il est un jardin merveilleux» © Centre d’art de La Sarre — «Rencontres V» © Yves Tessier

Par l’insertion de perles et de coquillages dans ses œuvres, en laissant certaines sections non tissées, elle ouvre le dialogue notamment sur la maladie d’Alzheimer, la représentation du fleuve et des saisons, etc.

 

SYLVIE LAJOIE

Totalement habitée par le textile, l’artiste Sylvie Lajoie a pleinement intégré cette technique artistique dans sa pratique. Elle utilise des photographies anciennes afin de les faire revivre sur du tissu.

«Voir loin» © François Brien — «Les trois compères» © François Brien

À l’aide d’une machine à coudre, elle brode les personnages figurant sur les photographies en y ajoutant différents tissus pour les habiller. Ici, le textile, la couture et la broderie s’unissent afin de faire durer le souvenir de ces êtres maintenant trépassés.

 

KARINE FOURNIER

«Récifs covidiens» © Karine Fournier — «Les repentirs du cœur libre» © Karine Fournier

Karine Fournier utilise la technique du tricot afin de faire un pied de nez au consumérisme et à la vitesse du temps. Elle propose des ateliers collectifs en compagnie de citoyens pour confectionner des courtepointes tricotées. L’artiste installe ensuite ces couvertures sur des poteaux téléphoniques ou des arbres afin de se réapproprier des espaces publics de la ville.

 

Créer de façon responsable

Le travail du textile amène avec lui des questionnements environnementaux, car son industrie en est une qui figure parmi les plus polluantes sur la planète. Les conséquences des changements climatiques ont donc amené les artistes en textile à vouloir réduire leur empreinte écologique.

Pascale Faubert © JHA photographie

Ainsi, il est de plus en plus fréquent de voir des designers travailler à petite échelle, par le biais de la microproduction, en réduisant les intervenants ou encore en fabriquant leurs teintures naturelles. Bref, les artisans et artistes du textile regorgent d’idées pour atténuer leur impact environnemental.

 

PASCALE FAUBERT

© Pascale Faubert

Fabrication de couleurs, élaboration de dessins, impression sur textile: autant de procédés avant d’en arriver à une collection d’objets en textile. C’est ce que fait la designer Pascale Faubert en créant ses petites séries et ses pièces uniques. Elle réalise des esquisses, qu’elle transpose ensuite sur des tissus au moyen de la sérigraphie, du batik ou de l’application directe.

 

CERTEX

Quand la science s’allie au textile, les possibilités deviennent sans limites! Quantité de vêtements sont envoyés dans les décharges et polluent ainsi les sols de la planète.

L’organisme Certex et l’École de design de l’Université de Montréal ont travaillé ensemble afin de mettre au point un manteau dont l’isolant serait fait à partir de bas de nylon destinés à être enfouis. Cette manière innovante et écoresponsable permet de créer en essayant de réduire la quantité de matières requise!

 

DAHLIA MILON

Le travail de teinture végétale de Dahlia Milon s’inscrit dans cette idée de réduction de notre empreinte écologique. Cette artiste du textile cultive un jardin de plantes tinctoriales à Kamouraska afin de participer activement au changement nécessaire dans l’industrie du textile.

Dahlia Milon © JHA photographie

Ses teintures et ses laines sont accessibles au public, et l’artiste contribue à la transmission du savoir en offrant des ateliers sur la façon de teindre les textiles. Une mission qui s’inscrit dans l’occupation du territoire.

 

Exploser les limites

Les arts de l’aiguille et du tissage ont grandement contribué non seulement à garantir de petits revenus aux femmes, mais également à leur fournir de quoi se mettre sur le dos! La démocratisation de ces savoirs par l’entremise des Cercles de Fermières, mais aussi de l’École des arts domestiques a permis aux arts textiles de prendre leur envol.

On constate aujourd’hui avec bonheur que la création textile est sortie de la chaleur des chaumières pour dépasser la simple fonction utilitaire. Les pratiques sont variées; elles allient différentes techniques et différents procédés; elles interpellent autant les métiers d’art que les arts visuels. Le textile se décloisonne et transporte avec lui un discours riche de tradition, d’histoire et de paroles.

 

MMAQ — Maison des métiers d’art de Québec
La Maison des métiers d’art de Québec est un organisme culturel voué aux pratiques contemporaines en métiers d’art. Située en plein cœur de la ville de Québec, elle compte 25 ateliers spécialisés en céramique, en textile et en sculpture, répartis sur sept étages. Elle a pour mandat la formation, la recherche et la création ainsi que le développement et la promotion des métiers d’art. Ses activités s’adressent à une clientèle variée: des jeunes aux moins jeunes; du grand public aux artistes professionnels.

 

TEXTE
Recherche et rédaction: Thierry Plante-Dubé, Marie-Soleil Guérin Girard et Mélissa Landry
Technicienne de production: Pauline Bolduc
Coordination: Marie-Claude Leclerc

 

PHOTOS

COUVERTURE
Llamaryon — Maison des métiers d’art de Québec

Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ)
1. Kiosques du Salon national de l’agriculture, présenté au Palais du commerce, rue Berri, à Montréal, en 1961. Photo: Paul Girard.
2. Raynault. Saint-Jacques de Montcalm, [195-]. Photographe non identifié.
3. Albin Noël, agriculteur, ministère de l’Agriculture. Saint-Jovite, septembre 1951. Photo: Jacques Desjardins.
4. Cours de tissage donné par le Cercle des fermières de Saint-Raymond, 1948-02-20. Photographe non identifié.