La Fabrique Culturelle

Dites enfin que vous aimez la poésie!

Gardez-vous enfoui, tel un secret, votre amour naissant pour la poésie? Vous délectez-vous des derniers écrits poétiques des petites maisons édition? Aimez-vous la poésie? 

 

Par le Mois de la poésie

Sachez que vous n’êtes pas seul! C’est justement avec le slogan «Dites enfin que vous aimez la poésie» que les Éditions de l’Écrou ont bouleversé — sur scène et par leurs recueils — les rouages du milieu de la poésie québécoise pendant un peu plus de 10 ans. Cette maison d’édition peut en effet se vanter d’avoir trouvé l’expression la plus représentative de l’effervescence de la poésie québécoise dans la dernière décennie.

Le Bilan Gaspard, qui recense les ventes de livres au Québec, rapporte d’ailleurs un bond de 200 % pour la poésie au Québec entre 2012 et 2019. Cette réalité se confirme également par les scènes et micros ouverts, dont plusieurs affichent complet et doivent refuser des gens à la porte. Même cas de figure du côté des festivals, qui font de la place, beaucoup plus de place, aux poètes et à la poésie dans leurs programmations littéraires.

Mais qu’est-ce qui a amené cet engouement pour la poésie? Comment sommes-nous passés d’une littérature semblant accessible uniquement aux initiés à des paroles plurielles qui nous happent sans aviser? Peut-être est-ce en raison de l’octroi d’une forme de liberté qui nous a collectivement donné envie de découvrir le genre sans appréhension, un peu comme nous le ferions avec un album de musique: en acceptant de ne pas aimer chaque pièce, en ne conservant que ce qui nous émeut.

La poésie, c’est comme une sublime subjectivité. C’est ne pas chercher un sens dans l’instant, mais en trouver un.
— Virginie Beauregard D.

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Une maison pour chaque parole

En plus des maisons d’édition mythiques qui traversent le millénaire (l’Hexagone, Les Herbes rouges, Écrits des Forges, du Noroît, Tryptique),
le début des années 2000 voit se déployer, dans un terreau fécond,
de nouvelles maisons d’édition. Dès lors, il y a la volonté de redéfinir tout ce que le langage peut accomplir, en tant que matériau, lorsqu’on y laisse pénétrer les failles du quotidien.

L’accessibilité aux technologies d’écriture et d’impression y est certainement pour quelque chose. On approche alors la poésie de façon vivante et éclatée. Tour à tour, de nouvelles maisons d’édition voient le jour: Le Quartanier, Les éditions du passage, Les Éditions Rodrigol, Poètes de brousse, Mémoire d’encrier, Les Éditions de Ta Mère, Moult Éditions et La Peuplade. Elles donnent le crachoir à de jeunes plumes, mais aussi aux dépositaires des paroles anciennes, telle Joséphine Bacon.

Au seuil des années 2010, les Éditions de l’Écrou font leur apparition dans le milieu poétique avec une ligne éditoriale punk qui accueille des voix jusqu’alors boudées ou moins souvent représentées. Marjolaine Beauchamp est l’une de celles-ci, irrévérencieuses, qui écorchent de brutalité et émeuvent tout à la fois. Une parole qui a trouvé sa place dans un écrin à sa couleur.

Depuis, bien d’autres maisons d’édition ont fait leur apparition, ajoutant ainsi leur voix à la diversité et au décloisonnement de la parole poétique. Elles se nomment, entre autres, Les Éditions de la Grenouillère, Fond’Tonnes, Bouc Productions, Omri, La maison en feu, Del Busso éditeur (collection Poésie) et Hashtag. Encore tout récemment, une nouvelle maison a fait son entrée dans le milieu littéraire québécois, Diverses syllabes, créée par et pour les femmes racisées et les personnes minorisées.

Quand on est une femme et qu’on est noire, on est une ombre. […] Les injonctions cachées me demandent d’être invisible et inaudible. Quand on nomme la femme noire, c’est simplement pour mieux la réduire au silence.
— Lorrie Jean-Louis [1]

Si le succès de la poésie repose sur un nombre effarant d’actrices et d’acteurs, il est évident que la qualité d’écriture et d’interprétation des poètes en est le cœur. Toutes ces maisons permettent à la poésie de trouver son chemin en offrant un éventail sans limite au lecteur pour trouver la poésie qui lui sied.

 

Lis-moi ça

Toute la poésie se trouve dans le «vouloir dire».
— Louis-Philippe Hébert

«Vouloir dire»: c’est ce que propose l’ensemble des médias sociaux. Pour revenir à la racine de l’engouement autour de la poésie au Québec depuis quelques années, il y a lieu d’ajouter le facteur des nouveaux médias. Ainsi, Facebook, Goodreads, quialu.ca et surtout Instagram ont succédé aux blogues. Des supervedettes de l’image comme Rupi Kaur tendent une main accessible et invitante au grand public, et des blogueuses comme Véronique Grenier passent du web à l’imprimé.

Il ne faut surtout pas sous-estimer l’apport inestimable de tous les passeurs dont on ne pourrait taire la dévotion. À ce titre, les stations de radio communautaires et universitaires, qui offrent des espaces qualitatifs à la littérature, ont leur part de succès dans le regain de la poésie au Québec.

 

Le pouvoir de la scène

Écrire de la poésie, c’est s’ouvrir en deux, en six, en neuf — toujours — pour dire: je t’écris du plexus solaire, exactement, puis de la gorge, comme s’il était presque midi.
— François Turcot

Publier des recueils est une chose; présenter ses textes sur scène en est une tout autre. La poésie actuelle s’épanouit au contact des arts vivants (danse, théâtre, musique, etc.) et des nouvelles technologies. Elle n’a plus besoin d’être pensée uniquement dans un accord piano-récital lorsque le souhait est de la rendre attirante.

Ainsi, en plus du Festival international de la poésie de Trois-Rivières et du Festival de la poésie de Montréal, les 20 dernières années ont accueilli nombre de micros ouverts de différentes tailles, vocations et langues d’interprétation.

De nouveaux festivals ont vu le jour pour répondre au besoin grandissant
de se rassembler, de faire communauté. Du nombre, soulignons l’émergence du Off-Festival de poésie de Trois-Rivières, du festival Dans ta tête et du Mois de la poésie.

Malgré toutes ces nouvelles scènes pour s’exprimer, la poésie n’en reste
pas pour autant dans ses quartiers: elle s’invite également dans des activités qui ne lui sont pas consacrées. La porosité des arts de la scène appelle à la déconstruction d’un type unique de représentation. Émergent alors des rencontres uniques, comme celle entre Maude Veilleux et Les Chiens de Ruelles au Festival de la chanson de Tadoussac.

Les scènes, c’est bien connu, permettent au texte de prendre corps, de se déployer et de toucher l’autre, dans toute l’audace et la vulnérabilité de l’interprète. Elles sont le tremplin de la littérature vers les arts littéraires. Elles sont des lieux d’expérimentation, de premières fois, de gueules cassées, de salves enivrantes; elles sont, surtout, des lieux de partage sans égal.

 

Un peu plus haut, un peu plus loin

Ce foisonnement de paroles nouvelles, de maisons d’édition et de scènes vouées à la poésie nous amène à poser un regard sur l’évolution de la poésie au Québec. Le boom poétique des dernières années est si important qu’il inspire à comprendre toutes les facettes et les mouvances québécoise et franco-canadienne de ce genre littéraire.

Voici trois suggestions d’ouvrages qui aident à mieux situer et comprendre le phénomène.

Anthologie de la poésie des femmes au Québec — Des origines à nos jours
Codirigée par Nicole Brossard et Lisette Girouard, cette anthologie a été saluée par les critiques en 1991 et considérée comme l’événement littéraire de l’année. En 2003, une version revue et augmentée a été publiée pour témoigner de la présence grandissante des femmes dans la vie littéraire et culturelle. L’ouvrage réunit plus de 500 poèmes, de Marie de l’Incarnation à Tania Langlais.

Anthologie de la poésie acadienne
Cette anthologie dresse le portrait de la poésie acadienne au 21e siècle: ses spécificités et son histoire, sans oublier ses acteurs et passeurs sur les territoires géopolitiques du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse, de l’Île-du-Prince-Édouard et de Terre-Neuve-et-Labrador ainsi que celui de la Louisiane. Sur la cinquantaine de poètes recensés, on compte cinq générations d’écrivaines et écrivains, nés entre 1884 et 1983. La grande majorité des poèmes de cette anthologie ont été extraits du catalogue des Éditions Perce-Neige, dont le directeur littéraire, Serge Patrice Thibodeau, se transforme ici en anthologiste, le temps de faire briller les siens.

Anthologie de la poésie actuelle des femmes au Québec, 2000-2020
Un tour d’horizon de la production poétique québécoise des 20 dernières années par l’entremise des textes de 55 poètes: voilà ce que propose l’Anthologie de la poésie actuelle des femmes au Québec, 2000-2020. Dans une approche intersectionnelle, intergénérationnelle et représentative des territoires du Québec, les autrices et coanthologistes Vanessa Bell et Catherine Cormier-Larose dressent un portrait nouveau des paroles féminines et non binaires. On y trouve, entre autres, les textes pleins de chaleur de la poète Marie-Andrée Gill.

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La poésie, c’est l’espace indomptable où les reclus, les déphasés, les incriminés du langage se retrouvent pour survivre.
— Emmanuelle Riendeau

Si aujourd’hui, vous avez trouvé une parole poétique qui a su vous toucher, c’est que des voix ont refusé de parler bas, de ne pas déranger et qu’elles ont continué à hurler la poésie.

Allez-y, dites (enfin) que vous aimez la poésie!

 

CRÉDITS TEXTE
Recherche et rédaction: Vanessa Bell et Juliette Bernatchez
Coordination: Marie-Claude Leclerc

NOTE
L’ensemble des noms et statistiques sont tirés du liminaire de l’Anthologie de la poésie actuelle des femmes au Québec, 2000-2020, publiée en mars 2021 aux Éditions du remue-ménage.

RÉFÉRENCE
[1] Lorrie Jean-Louis à la revue Les libraires, 18 août 2020