La Fabrique Culturelle

Génération TRAD

Que la fête continue!

Une tradition est un moment de communion sociale ou culturelle dans laquelle une société se reconnaît. Une tradition se conjugue uniquement avec le «nous» collectif. Elle vit au même rythme que la société dans laquelle elle évolue. — ès TRAD

 

Par Vanessa Bell

Au Québec, on assiste depuis quelques années à un engouement pour ce qu’on appelle le trad. Cette effervescence est en grande partie portée par l’enthousiasme des jeunes adultes envers les arts traditionnels. Qu’est-ce qui explique que cette jeune génération décide de plonger dans ses racines pour réactualiser cet héritage?

Une chose est sûre: chez les moins de 35 ans, il y a un fort désir de contacts physiques, de contacts psychiques, et les arts traditionnels te font vivre ça. Ça te fait vivre des émotions qui vibrent sur une fréquence qui n’existe pas ailleurs. — Cassandre Lambert-Pellerin, ès TRAD

Dans les années 70, le Québec assistait au contrepoids de l’exode rural des années 50 par une vague surprenante de retour à la terre. Dix ans plus tard, la désillusion référendaire ébranlait, chez une grande partie de la population, la fibre identitaire. Il faudra aux Québécois et Québécoises maintes années pour retrouver l’envie de plonger dans leurs racines et de se réapproprier les arts traditionnels.

ès TRAD
Cassandre Lambert-Pellerin, codirectrice d’ès TRAD, est bien placée pour constater cette ébullition. Depuis plusieurs années, son organisme œuvre à la diffusion des arts traditionnels. À la fois producteur, médiateur et diffuseur, le centre crée des espaces de rencontre entre les artistes professionnels, les praticiens amateurs et le public. Responsable d’une des plus vieilles veillées de danse au Québec et d’un grand festival musical, ès TRAD a constaté dans la dernière année une augmentation de 340 % du nombre de participants à ses activités. Engouement, vous avez dit?

Crédit photo : Cassandre Lambert-Pellerin — ès TRAD

 Si on fait une veillée de danse extérieure, les gens en vélo qui passent ne vont pas se dire «oh-ho, c’est du trad; c’est pas pour nous». Ils vont entendre de la musique, des rires, voir des gens s’amuser… Comme ils n’ont souvent pas vécu cette tradition, les moins de 35 ans n’ont pas d’idées préconçues. Il suffit de leur présenter l’activité pour qu’ils embarquent, qu’ils aient envie de faire partie du show. — Cassandre Lambert-Pellerin, ès TRAD

Or, le trad, ce n’est pas que les veillées endiablées au son du violon et des danses «callées»; le trad, c’est autant de définitions qu’il y a de gens décidant de s’emparer de leur tradition. On vous embarque donc pour un petit tour d’horizon de cette nouvelle génération qui swingue le trad.

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Canots volants et réseaux sociaux — Le conte

Rose Latulippe, c’est la plus belle fille que tu peux trouver sur Tinder dans un rayon de 50 kilomètres; passe sa journée à se prendre en photo, qu’elle enlumine de filtres pour s’éclaircir le visage, s’enflammer la chevelure, se «grand-canyoniser» le décolleté. — Maxime Plamondon

De la tradition française, le conte québécois a gardé bien peu des histoires de Perreault ou de La Fontaine. Les fables animalières ont vite cédé leur place aux dangers et solitudes des grands chantiers, aux esprits terrifiants qui hantent les forêts, à l’apparition du diable et à de nombreux personnages marins plus séduisants les uns que les autres.

C’est ainsi que La chasse-galerie, La légende du rocher PercéLa Dame de la chute Montmorency et bien d’autres encore ont donné forme aux mythes et légendes du Québec. À Québec et à Lévis seulement, la population peut se plonger dans les légendes anciennes et réactualisées en assistant, entre autres, aux Contes à passer le temps, aux Contes sur le parvis, au Festival international du conte Jos Violon… Mais que veut-on dire au juste par «réactualiser le conte»?

Maxime Plamondon

Crédit photo: Edgar Fritz

De l’avis de Maxime Plamondon, 27 ans, le folklore est une matière première pour tisser son propre univers. Il se laisse traverser par la science-fiction et le surréalisme afin de créer des personnages campés dans un Québec actuel ou futuriste. Conteur depuis 10 ans déjà, il a vu son travail être récompensé de plusieurs prix au Québec comme à l’international.

L’être humain se racontera toujours des histoires. Elles constituent le matériau le plus durable que nous soyons en mesure de fabriquer. Mais c’est absurde de réduire l’art du conte à la seule tradition, aux récits d’autrefois. Il y a des tonnes d’approches individuelles et de démarches novatrices qui font toute la richesse de l’art oral. — Maxime Plamondon

Envie de l’entendre conter? Par ici pour savoir ce qui arrive à Rose Latulippe dans cette version résolument contemporaine de La légende du beau danseur.

 

Andrée Levesque Sioui

Crédit photo : Edgar Fritz

Andrée Levesque Sioui, riche d’un parcours artistique foisonnant, en est à ses premières armes avec le conte. C’est en enseignant à l’école primaire Wahta’ et au centre de la petite enfance (CPE) Orak de Wendake, où elle devait intégrer chants, mythes et contes traditionnels à l’enseignement de la langue wendat, que le conte s’est ancré dans sa vie. Marcel Godbout, agent culturel de sa communauté, lui a plus tard proposé de faire le même exercice auprès d’un public adulte. L’expérience a été un succès. Depuis, le conte ne la quitte plus!

C’est toujours une volonté de transmission humaine: il y a une partie de devoir, une partie de responsabilité par rapport à ma communauté. Je veux explorer pour redonner et faire vivre à nouveau les récits et mythes que nos ancêtres ont racontés pendant longtemps. C’est un travail rigoureux qui exige de voir plus loin que l’histoire. — Andrée Levesque Sioui

Partie prenante de la Maison-Longue Akiawenrahk de Wendake, l’autrice et musicienne wendat nous offre en toute intimité son premier conte.

Chose certaine, s’il existe autant de types de contes que de conteurs, il n’en demeure pas moins que la discipline est la plus simple expression du trad en ce qu’elle ne demande aucun support, sinon l’imagination!

 

Désinvolture au salon — La musique

Crédit photo: Cassandre Lambert-Pellerin — ès TRAD

Elle n’est pas si loin, la tradition des grandes familles qui comptaient toujours au moins un musicien. Que l’héritage soit français, anglais, irlandais ou écossais, les meubles du salon se tassaient allègrement dans les chaumières pour faire place aux musiciens le soir venu. Quand les familles ont commencé à se faire moins nombreuses, les danseurs ont déserté salons privés et salles paroissiales pour envahir les discothèques, reléguant le trad aux oubliettes.

La Déferlance

Il y a une volonté de faire de la musique sans prétention. En trad, on peut «jammer» sans être préparé; c’est une musique qu’on peut partager sans être dans un cadre de représentation classique. — Daniel Fréchette

Daniel Fréchette, Marie-Desneiges Hamel et Mathieu Baillargeon forment le groupe La Déferlance. Créé à l’origine pour un festival, le trio s’est retrouvé pris dans les filets du trad et a décidé d’y poursuivre sa route créative. Rapidement, dans leur parcours, les trois musiciens ont commencé à réarranger des chansons traditionnelles, à composer leurs propres pièces et même à créer de nouvelles chansons à répondre! Une fois la magie de la rencontre humaine et musicale installée, il semble qu’il soit difficile de retourner à l’étroitesse de ses anciens souliers.

Il y a toutes sortes de visions du trad au Québec. Il y a les puristes et le néo-trad. D’autres ont comme projet de sortir le trad de l’ombre en y ajoutant du techno, de l’électro. Nous, on navigue là-dedans sans trop se poser de questions… On fait ce qu’on aime et, si on aime une pièce de telle manière, on l’assume. — Daniel Fréchette

La participation est au cœur de la musique trad. Il s’agit d’une musique énergique et inclusive qui invite à se mettre en action. Que ce soit en tapant du pied, en chantant ou en dansant, tout le monde peut faire partie de la fête.

Dans les 20 dernières années, le paysage a énormément changé en musique trad. Fini le temps où le Québec comptait moins d’une poignée de festivals qui se consacraient à cet univers. Les musiciens, les danseurs et les festivaliers ont maintenant nombre d’événements où entendre de la musique trad et vibrer à son rythme.

 

On se reposera au lever du soleil — La danse

Crédit photo: Cassandre Lambert-Pellerin — ès TRAD

Tout le monde est heureux dans une soirée de danse. Y a pas de babounes. — Marie-Capucine Maldague Mathieu

L’euphorie; rien de moins. Chaque danseur, chaque danseuse vous le dira: une soirée de danse, c’est euphorique.

Depuis quelques années, le succès sans cesse croissant des veillées de danse surprend les organisateurs. Toutefois, il faut admettre que danser avec des inconnus, entrer en contact avec les autres sans être dans une dynamique de séduction ou de travail a quelque chose de grisant. L’engouement est tel que plusieurs veillées doivent même refuser des gens à la porte pour cause de popularité.

Au centre de l’expérience et accompagnée des musiciens, une personne reste primordiale pour le bon déroulement des choses: le «calleur» ou la «calleuse». Chef d’orchestre des soirées dansantes, c’est cette personne qui rythme, cadence et organise la danse pour que tous se sentent inclus dans la fête.

Marie-Capucine Maldague Mathieu

C’est dans un camp de musique traditionnelle que Marie-Capucine Maldague Mathieu découvre une nouvelle façon de penser la musique. Fini les partitions: une toute nouvelle ère de musique jouée «à l’oreille» commence.

De fil en aiguille, la découverte du milieu traditionnel l’amène à fréquenter des veillées de danse. Un soir, à court de «calleur», Capucine se prête au jeu, puis c’est le coup de foudre. Depuis, impossible de l’arrêter de «caller»!

Convaincu mais encore sceptique quant à vos capacités à danser? Des visiteurs qui ne savent pas danser aux fidèles participants, personne n’est laissé en plan. Voici le déroulement habituel d’une soirée de danse. Plus d’excuses pour ne pas participer!

 

1. Initiation offerte à celles et ceux qui n’ont jamais dansé;
2. Familiarisation avec les termes et formes de danse (la promenade, le swing, la main gauche au coin, etc.);
3. Début de la veillée avec les danses les plus simples;
4. Au fur et à mesure que la veillée avance et que les danseurs se familiarisent avec les pas arrivent les danses plus complexes;
5. Fin de la veillée autour de minuit.

 

«DIY» et accomplissement personnel — L’artisanat

Crédit photo: Cassandre Lambert-Pellerin — ès TRAD

Pour ce qui est des arts artisanaux, le portrait n’est plus à dresser. Ils ont ceci de magnifique qu’ils se font en apprentissage avec d’autres personnes. La rencontre est nécessaire à la compréhension des techniques, et au-delà des projets naissent parfois des amitiés inusitées. C’est le cas dans les Cercles de fermières, où les porteuses de tradition sont au cœur de la transmission des savoirs auprès d’une toute jeune génération.

Exit l’âgisme: un nombre considérable de jeunes adultes s’intéressent au tissage, à la broderie, au tricot ou au crochet. Sur Instagram, Pinterest et même dans les boutiques de quartier, il est difficile d’ignorer la vague du «DIY» (pour do it yourself, ou «fais-le toi-même»), qui domine les écrans et décors depuis plus de 10 ans déjà.

Les œuvres produites peuvent s’inscrire dans le plus pur esprit de la tradition ou encore investir le monde des arts visuels. En effet, plusieurs artistes utilisent, actualisent ou détournent des techniques traditionnelles pour en faire des objets d’art.

Amateurs et professionnels partagent assurément une chose en commun: l’éloge de la lenteur. En effet, les arts artisanaux s’inscrivent au ralenti, dans l’esprit du savoir-faire. Un heureux pied de nez au rythme effréné qui régit nos journées et à la surconsommation d’objets à la vie délibérément écourtée.

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Peu importe son domaine d’expression, le trad demeure un vecteur de rencontres, de partage et d’intégration sociale. Le patrimoine vivant connaît non pas un renouveau, mais une réappropriation par une génération en quête d’affirmation identitaire.

La tradition pulse au rythme de l’évolution de la société et on voit jaillir,
au-delà de l’éternelle dyade francophone-anglophone, un métissage des traditions de tous les horizons culturels qui font aujourd’hui toute la richesse du Québec.

 

Les arts traditionnels viennent de loin et sont encore avec nous. S’il y a une craque, les traditions vont passer à travers et vont ressurgir. Qui sait ce que demain nous réserve? — Cassandre Lambert-Pellerin, ès TRAD

 

Crédits dossier

Réalisation balado: Edgar Fritz
Technicienne de production: Pauline Bolduc
Coordination: Marie-Claude Leclerc
Photo couverture: Cassandre Lambert-Pellerin — ès TRAD