La Fabrique Culturelle

Hymne à la nordicité

Chaque année, l’hiver se présente à nos portes. Haïe ou aimée, la saison froide prend une place importante dans nos vies. Inscrite dans nos légendes et nos souvenirs, elle nous définit. Elle fait partie de nos discours; elle teinte nos créations et nos écrits. Inspirée par l’exposition sur l’hiver qui a cours au Musée national des beaux-arts du Québec, La Fab vous offre diverses tonalités de cette saison, question de célébrer et de souligner les milles et une facette de cette nordicité.  

 

Mirage blanc ou l’hiver au MNBAQ

Avec la réouverture du pavillon Gérard-Morisset, le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) a décidé de rendre hommage à notre nordicité en présentant, dans l’une de ses toutes nouvelles salles, l’exposition Mirage blanc. Si la saison s’installe chaque année dans nos vies, les enjeux environnementaux d’aujourd’hui n’en laisseront peut-être dans l’avenir que de fugaces souvenirs.

Partant de cette prémisse, l’exposition nous permet, à travers l’agencement de 70 œuvres de diverses époques, de constater les similitudes et les disparités de cette appréciation de notre nordicité. Dans tous les cas, l’hiver s’y retrouve magnifié.

Dans les œuvres plus anciennes, les artistes témoignent avant tout du quotidien de leurs contemporains. Samuel Lacey dépeint joliment les joies hivernales à la chute Montmorency, où l’on glissait allègrement en 1844.

Samuel Lacey – «Le Cône de glace de la chute Montmorency», 1844

Pas si loin de nos habitudes contemporaines, on attaquait déjà le territoire vallonné des plaines d’Abraham en 1925.

Inconnu, pour la United News Pictures – «Sports d’hiver sur les plaines d’Abraham», 1925

Pour les artistes inuits comme Joe Talirunili ou Jamasie Teevee, les scènes du quotidien restent un sujet central. Ici, la chasse au béluga et la colère d’un ours.

Joe Talirunili – «Chasse au béluga en kayak», 1963;  Jamasie Teevee – «Ours en colère», 1968

Si, jusqu’ici, les représentations de l’hiver étaient le reflet de ce qui est vécu, dans les œuvres plus actuelles, c’est l’expérience sensorielle qui est explorée. La froide saison devient alors métaphore.

C’est par les matériaux, les textures et la couleur que l’on tente de faire ressentir au spectateur la froidure. Elle nous apparaît à la fois brute et colorée, comme dans cette toile de François Lacasse.

François Lacasse – «Grandes Pulsions VII», 2008

Par son imposante luminosité, l’hiver revêt parfois un visage d’une brillance et d’une vibrance presque insupportables, comme dans ce tableau de Marie-Claire Blais.

Marie-Claire Blais – «Brûler les yeux fermés», s_11, 2012

Dans cette exposition où les multiples visions artistiques se côtoient, on a aussi donné la parole aux gens. En fond sonore de l’exposition, on peut entendre et regarder les témoignages de multiples générations racontant leurs souvenirs et leur amour de la saison. Un chose est certaine: l’hiver fait forte impression.

Nous gardons tous en mémoire de beaux moments vécus en hiver. Qui sait, ce sera peut-être avec nostalgie que l’on y repensera dans un avenir pas si lointain? Espérons néanmoins que cette nordicité soit préservée et que jamais elle ne devienne un mirage blanc.

Crédits œuvres: avec l’aimable autorisation du Musée national des beaux-arts du Québec.

 

L’histoire de l’horloge avec Maxime Robin

Quand l’hiver s’installe, le temps prend une toute autre dimension. Pour certains, il ralentit; pour d’autres, il se suspend, l’instant d’un souffle. Le conteur aux mille et un chapeaux Maxime Robin nous entraîne dans L’histoire de l’horloge. Un conte d’hiver où se côtoient La reine des neiges, l’autoroute 20, le souffle, le vent, et la vie qui vient et qui va.

Sauna Kaunas, d’Alice Guéricolas-Gagné

Ceux et celles qui connaissent Alice Guéricolas-Gagné retrouveront ici son univers baroque et éclaté. Pour les autres, et à titre indicatif, Sauna Kaunas s’inspire de son roman Saint-Jambe, nom d’un quartier-cité qui s’est autoproclamé république devant la basse-ville engloutie par les eaux. Fable? Dystopie? Conte?

Publiée ici en primeur, cette nouvelle vous convie dans un sauna de la côte Badelard, refuge où « […] par les pores de nos peaux, mêlés à notre sueur, s’échappent nos soucis et nos cauchemars, la pensée comptable et la planification stratégique. »

Lauréate du prix Robert-Cliche 2018, Alice Guéricolas-Gagné est née à Québec en 1995. Elle aime les livres, le théâtre, les voyages et les marionnettes. Saint-Jambe, son premier roman, est publié chez VLB éditeur.

Pour visionner notre capsule, cliquez ici.

 

SAUNA KAUNAS

Saunassa sappi sammuu,Vihtoen viha viilenee.  (Le sauna éteint l’amertume, la flagellation apaise la rancune.) — Proverbe finlandais

L’hiver est long dans Saint-Jambe. Si long que, lorsqu’il s’installe parmi nous, on peine à croire qu’il nous laissera libres un jour. La poudrerie brouille nos horizons, le décor s’écrase en deux dimensions entre les oreilles pendantes de notre chapka et tout élan s’annihile, réduisant notre pensée à un tunnel de plus en plus étroit. Impossible désormais de jeter un regard au loin. Négligeant le dehors, nous nous retranchons volontiers dans notre petit monde, dans les petits mètres carrés qui nous entourent, là où fume le thé au milieu des couvertures.

L’hiver est si long qu’il est difficile d’imaginer délivrance et retrouvailles avec nos peaux auxquelles s’additionnent couches de laines, chapes, pardessus, fourrures de coyote. Ces carapaces qui, en nous protégeant du froid, attirent du même coup notre moral au plus bas des falaises.

C’est pour remédier aux envies suicidaires de nos concitoyens que l’association Petite-Estonie en Saint-Jambe — responsable de la médiation culturelle depuis le putsch ayant assujetti notre République au pays balte éponyme — a inauguré une nouvelle installation dans le coude de la côte Badelard: le Sauna Kafka. Ce n’est pas que nous en avions contre les bacs à compost qui logeaient en son tournant, mais les Estoniens en mission chez nous avaient statué que cette voie giratoire que l’on surnomme en temps caniculaires la « Costa Brava» — ancien «Red light» de Québec, il faut s’en souvenir — aspirait peut-être à destin plus grandiose que celui d’héberger des fruits et légumes en décomposition.

Cette cabine de bois sculptée par les soins des artisans de l’enclave scandinavisante de Sainte-Rose-du-Nord n’a rien à envier aux plus célèbres stations thermales et aux Alpes. Depuis cette côte que la Cité de Saint-Jambe n’a jamais asphaltée, le monde se dévoile. Ce n’est pas le lac Léman d’Hubert Aquin, mais on peut bien faire semblant si cela nous chante et s’installer aux terrasses surplombant l’écran de nos projections imaginaires sur la mer gelée afin de revivre le cours de l’histoire. À la vue des morceaux de glace qui se détachent de la banquise pour fondre dans les vagues, nous entendons se fendre les grumeaux d’entrepreneuriat de soi que quelques discours tenaces avaient fait s’agglomérer en nous.

En pénétrant dans la cabane surchauffée, étroit palais de calme, il faut apprendre à tout laisser sur le seuil: les frustrations, les déprimes, les aspirations à tous les devenir. Il faut aussi apprendre à remplacer les déterminants possessifs par leur pendant non exclusif, nous dépossédant ainsi de ce qui nous possède. La chaleur étouffante qui règne à l’intérieur nous aide à dissiper les pensées les plus pénibles. Dans la pénombre, nous méconnaissons ces visages si différents de ceux du monde du dehors. Peu nous importe de quels coins de la Terre proviennent nos compatriotes; car nous évitons de nous prendre les pieds dans la Tour de Babel, dégustant en silence cette humanité partagée.

Au Sauna Kafka, nous accueillons les écœurés des formulaires d’immigration, des demandes de subvention, des rapports quadriennaux. C’est l’endroit idéal pour se purger de la technocratie et des principes du Lean Management, de cette crasse bureaucratico-positiviste qui s’immisce subrepticement sous les tapis de nos vies. Et par les pores de nos peaux, mêlés à notre sueur, s’échappent nos soucis et nos cauchemars, la pensée comptable et la planification stratégique. Nous nous torréfions ensemble sur les planches de bois, redevenant les humains qui ne trouvent pas la place pour exister entre les murets des catégories et des formulaires. Nous oublions le temps et les chiffres; dans la nuit brûlante il ne reste plus que nos corps débordants de vie. Lorsque l’hôte ou l’hôtesse revient nous chercher, comme dans les trains russes, nous sommes levés, gonflés et grillés comme des petits pains chauds. En renaissant au plus doux de notre peignoir-éponge, nous faisons le pas de côté, en dehors du Sauna Kafka, pour nous rincer à la chute exilique de l’existence.

Nous sommes prêts, désormais, à affronter la totalité des hivers, qu’ils soient dépressionnistes, nucléaires ou de force. Nous sommes prêts à affûter nos voix comme des couteaux et à grossir les rangs des chorales, à investir les opéras panique, les opéras bouffe, à remonter le Ballet triadique, à ouvrir un Bauhaus dans Saint-Jambe. Notre programme est copieux, nous avons de quoi faire pour tromper l’hiver. C’est pour toi, Sauna Kafka, que nous voulons posséder nos hivers.

1 – Surnom accolé au Sauna Kafka (Kaunas étant la deuxième ville de Lituanie) par les plus perfides d’entre nous; clin d’œil aux pauvres habitants de la République autoproclamée d’Uzupis attenante à Vilnius, habitants qui songeaient à étendre leur micronation outre-Atlantique avant de se faire devancer dans leur établissement par les Estoniens.

2 – Pour plus de détails sur l’ancien «Red light» de Québec, écoutez la capsule de Réjean Lemoine en cliquant ici.

 

Chloë Ellingson – Suivre le vent du Nord

Hiver comme été, c’est par la voie ferrée que l’on voyage de Sept-Îles à Schefferville. Dans ce coin du Nord, rien n’arrête le train Tshiuetin sur le tracé emprunté depuis des millénaires par les peuples nomades.

La photojournaliste Chloë Ellingson a plongé dans l’univers de ces passagers qui, le temps d’une traversée, se recréent de petits îlots d’intimité, des capsules temporelles de beauté.

 

Session La Fab hivernale par La Bronze

Avec son manteau blanc, l’hiver met en sourdine bien des tourments. Voilà ce que nous chante La Bronze avec Je n’ai plus peur de l’hiver dans cette session La Fab enregistrée pendant un épisode du balado Quartier Général.

Quand la froidure hivernale arrive à calmer des volcans…

 

Rythmer l’hiver avec Racines Gumboot

Lorsque le froid envahit le fjord du Saguenay, la glace et la neige prennent leurs quartiers. La vie se déroule au ralenti, imposant une douce léthargie. La troupe Racines Gumboot a toutefois bousculé l’ordre établi en imposant sa voix et son rythme enflammé.

Une danse en suspension entre ciel et terre; un instantané de chaleur au cœur de l’hiver.

 

La pêche miraculeuse de Claude Guérin

Rouillées, rafistolées, bancales, elles s’élèvent, belles et fières, dans le paysage hivernal : les cabanes de pêche. Une véritable obsession pour le photographe Claude Guérin, qui voit en ces fugitives habitations saisonnières de véritables monuments sur un territoire éphémère.

Nous l’avons suivi sur les glaces pour voir à travers ses yeux la sérénité des lieux, la pureté de la lumière, le silence et la présence de ces cabanes singulières.

 

Une toile de neige pour Jeannot Rioux

Le vent froid sur les plans d’eau affine la surface et laisse derrière lui une toile blanche de possibles. Amateur d’art nature (land art), Jeannot Rioux a tracé pour La Fab une œuvre éphémère à la structure finement calculée. Quinze heures de raquette aux abords de Gaspé; des milliers de pas dans la neige immaculée captés en light painting par le photographe Jonathan Desjarlais.

 

Antoine Blier et Zachary Bouchard: skier son art

Vent, neige et glace sculptent le territoire, créant des reliefs accidentés. Voilà le terrain de jeu de deux jeunes cinéastes de la Gaspésie: Antoine Blier et Zachary Bouchard. Passionnés de ski hors piste, ils en ont fait un prétexte de création pour parler d’environnement et de gens inspirants avec, pour toile de fond, les réserves fauniques enneigées de Matane et des Chic-Chocs.