La Fabrique Culturelle

Courtepointe de la Basse-Côte-Nord

Pour qui sait en traduire la langue, la Côte-Nord est poésie. Langue minérale, de forêt, d’eau salée et de tôle; langue des pêcheurs aux lueurs du jour, des images millénaires et des chantiers éphémères.

Chalutier à Brador Bay; Ivan Ehteridge, pêcheur de Brador Bay; Guillaume et Noémie sur l’un des quais du Bella Desgagnés; Harrington Harbour, devant le bar du village; Mathias Mark, Pakua Shipi; les couchers de soleil imbattables de la Basse-Côte-Nord

Collecte d’histoires à micro ouvert

À bord du Bella Desgagnés, bateau ravitailleur d’un Québec qui commence là où s’arrête la route, nous posons les yeux sur l’insoupçonnée beauté de ce monde isolé. Nous avançons à vitesse réduite pour tenter de moins déranger les rorquals. Nous avançons en nous répétant qu’il faudra rester plus longtemps, la prochaine fois. Il y a beaucoup trop à saisir: les courtes escales ne font que le confirmer.

La poétesse Noémie Pomerleau-Cloutier a grandi sur la Côte. Son regard sur le monde est indissociable de l’horizon qu’elle a fixé ici, à perte de vue. À l’été 2018, elle s’est embarquée sur le Bella Desgagnés avec quelques questions en tête, un dictaphone et un calepin. Elle a voulu embrasser un territoire immense que notre langue ne possède pas la richesse de décrire et, surtout, aller à la rencontre des humains qui le peuplent; comprendre ce qui les ancrent là, en Basse-Côte-Nord, avec les difficultés que l’éloignement accentue. Noémie y a récolté des histoires que lui ont confié les Coasters, qu’elle poétisera pour les besoins de son prochain recueil. Ces histoires dépassent l’entendement de quiconque habite une ville ou un village relié par la route au reste du monde. Impossible de soupçonner que le magasinage d’une robe de mariée s’apparente à une traversée transatlantique au 18e siècle ou qu’il faille aller attendre à l’hôtel loin des siens, à Sept-Îles, au moins un mois avant la date prévue d’un accouchement. En accompagnant Noémie lors de la première phase de recherche et création qui mènera à son recueil, nous avons épuisé nos ressources d’ahurissement, dans le ravissement le plus complet, en découvrant cet autre Québec.

La maison de l’île

Le Bella Desgagnés dessert toute la population de la Basse-Côte-Nord, véhicule ses résidents et transporte les marchandises. L’été dernier, nous avons eu la chance inouïe d’être à bord du caboteur en même temps qu’une très spéciale croisiériste. Native de Tête-à-la-Baleine, mais habitant depuis plusieurs années en ville, elle venait en visite avec toute sa famille sur sa Basse-Côte natale. Sur le pont huit, un film de Pierre Perreault était présenté, Tête-à-la-Baleine, un moyen métrage réalisé en 1960. On peut y voir une scène incroyable dans laquelle la maison d’été d’une famille du village, sise sur une île en face, est remorquée par les bateaux des bons samaritains vers le «continent». La maison principale, en mauvais état, allait être remplacée par ce chalet. Nous avons questionné la croisiériste, question de démêler le vrai du romancé. Sa réponse nous a soufflés: «C’est ma maison; la petite fille, c’est moi.» Nous étions sans mots et pourtant euphoriques. Noémie Pomerleau-Cloutier, ta démarche de recherche et création a déjà généré tant de belles rencontres; nous avons hâte de lire ta poésie.

Chalets de pêche sur les îles autour des villages, le long du Golfe du Saint-Laurent

Once Upon a Coast

À l’extrême est du Québec, ce que l’on nomme Blanc-Sablon est réellement composé de six communautés qui sont reliées entre elles par un petit bout de la 138 et qui sont limitrophes au Labrador: Old Fort Bay, St. Paul’s River, Middle Bay, Brador Bay, Blanc-Sablon et Lourdes-de-Blanc-Sablon, d’ouest en est. Après quelques millénaires à jardiner la forêt, les Innus y ont été visités tour à tour par les Inuits, les Basques et, plus récemment, les Français et les Britanniques. Aujourd’hui, la plupart des résidents de ces villages sont des descendants des pêcheurs terre-neuviens qui sont venus s’y établir.

Serena Etheridge y travaille pour la Fondation Québec-Labrador en tant que directrice du département Culture et Patrimoine. Nous l’avons rencontrée autour du projet Once Upon a Coast, dont l’objectif est de collecter et de préserver les histoires des Coasters. C’était, pour la poétesse Noémie Pomerleau-Cloutier, une rencontre importante, il va sans dire, Serena détenant à elle seule un nombre incalculable d’histoires marquantes et d’anecdotes qui font de la Basse-Côte-Nord ce qu’elle est. Serena nous a accueillis sur le quai de Blanc-Sablon les bras grands ouverts, prêts à l’accolade. «I’m a hugger» («j’aime donner des câlins»), nous a-t-elle dit. Et c’est gavés de fudge maison et autres gourmandises traditionnelles que nous avons pris la route avec elle.

Son projet Once Upon a Coast a d’abord pris la forme d’entrevues documentaires, mais elle voulait faire plus encore à partir des histoires collectées: les traduire en une vraie de vraie courtepointe, qui voyagerait de village en village. Savoir-faire issu de la nécessité d’utiliser et de recycler chaque fibre — et chaque objet, d’ailleurs — à leur pleine capacité, la courtepointe s’est tranquillement taillé une place au rang des œuvres d’art. C’est à sa mère, Emelda Etheridge, qu’a été confié le travail d’artisanat énorme consistant à faire passer textes et illustrations à l’étape des textiles et de la broderie. Dans la mesure du possible, écoutez cette vidéo en dégustant l’un des délices traditionnels dont vous trouverez les recettes, un peu plus bas.

Réveillon bas-côtier

Ces recettes de plats typiques qui donneront une saveur «côtière» à vos Fêtes sont tirées (et librement traduites) du livre «Timeless Traditions Cookbook – A Collection of Traditional Recipes and Stories that Celebrate the Culture of the Quebec Lower North Shore’s Eastern Sector», une initiative de la Fondation Québec-Labrador (sous la direction de Serena Etheridge).
Communauté d’Unamen Shipu; pêcheurs saluant les passagers du Bella Desgagnés

Session #LaFab avec Laurent Mark

Nous espérions rencontrer Laurent Mark dans son village natal, Unamen Shipu (une communauté innue de la Basse-Côte-Nord), pour qu’il nous interprète son plus grand succès, Avec toi… mais il était attendu à Nutashkuan pour y donner un spectacle! Le mauvais temps a d’ailleurs bousculé ses plans et les nôtres. Lui qui devait se rendre à Kegaska sur l’embarcation d’un ami a dû monter à bord du Bella Desgagnés, les forts vents et les vagues rendant la navigation trop risquée pour un petit bateau. Nous lui avons finalement donné rendez-vous, par un beau matin de juillet, sur la plage magnifique qui borde la dernière communauté innue reliée par la route. Il y a encore un monde musical parallèle pour les créateurs et créatrices des Premières Nations, qui sont souvent peu connus du grand public, mais qui ont de magnifiques carrières à travers les communautés. Sur YouTube, la chanson Avec toi a été écoutée plus de 120 000 fois! Musique Nomade fait un travail essentiel en donnant une vitrine aux talents musicaux issus des premiers peuples, et nous sommes très heureux de contribuer avec cet organisme à faire découvrir les artistes de la relève en chanson.