Pionnières de l’enseignement pour jeunes filles en Amérique du Nord, les Ursulines comptent également parmi les premières artistes de la ville de Québec. Leur legs est riche de savoir-faire et d’histoire et leurs réserves regorgent de broderies anciennes. Avec l’exposition Filiations, la Maison des métiers d’art de Québec (MMAQ) a établi une fine collaboration avec le Pôle culturel du Monastère des Ursulines pour valoriser les trésors de leur collection. Six créatrices contemporaines en métiers d’art ont ainsi eu la chance de s’inspirer des créations des moniales pour tisser au présent de toutes nouvelles créations.
Le 1er août 1639, trois ursulines françaises, dont Marie Guyart de l’Incarnation, et une bienfaitrice, Marie-Madeleine de la Peltrie, fondent en Nouvelle-France un monastère de l’ordre de Sainte-Ursule qui se consacre à la scolarisation des jeunes filles. Elles contribuent à travers cela à jeter les bases de l’enseignement en Amérique du Nord. Brodeuse d’exception, Marie de l’Incarnation introduit d’ailleurs l’art de l’aiguille au monastère de Québec dès son arrivée en Nouvelle-France, transmettant dès lors son savoir-faire à ses sœurs.
À partir du 17e siècle, le monastère et sa maison d’éducation ont évolué au fil des changements sociaux, économiques, politiques et technologiques qui survenaient. Fidèles aux valeurs fondatrices de leur ordre religieux, les Ursulines ont fait montre d’une adaptabilité remarquable, doublée d’une constance dans leur statut de moniales ainsi que dans leur mission.
Le legs créatif des Ursulines est immense, et leurs réserves recèlent, entre autres richesses, de broderies laïques et liturgiques, d’ouvrages dorés ainsi que de dentelles confectionnées par les religieuses et leurs élèves.
Lancé en janvier 2021, le projet Filiations avait pour objectif de faire rayonner ces œuvres de la collection textiles des Ursulines qui n’ont jamais été exposées. C’est par la sélection d’artistes contemporaines en métiers d’art qu’il a pu prendre son envol. Chacune d’elles a été choisie soigneusement pour sa maîtrise technique de la matière et l’originalité de son approche. En s’inspirant des broderies des Ursulines, les artistes devaient réaliser des créations contemporaines soulignant la richesse de ces savoir-faire.
Tout au long de l’année, elles se sont attelées à créer des œuvres qui, en 2022, ont été présentées à l’occasion d’une première exposition ayant eu lieu au Centre Materia, un espace de diffusion en métiers d’art situé à Québec. Puis une seconde exposition s’est tenue au Pôle culturel du Monastère des Ursulines, aux côtés des broderies qui les avaient inspirées.
D’origine franco-gabonaise et établie à Québec depuis quelques années, Sarah Toung Ondo a fait des études en design, en histoire de l’art et en anthropologie sociale et historique, avant de suivre la formation en construction textile à la MMAQ.
L’artiste s’intéresse au métissage de matières, avec une préférence marquée pour les matières animales et le métal. Avec Filliations, elle s’est attardée au patrimoine des Ursulines en y posant son regard d’anthropologue. Elle a puisé son inspiration à travers divers types de broderies pour créer deux œuvres qui rappellent une bannière de procession des Ursulines.
Ses réalisations mélangent le travail du cuir ainsi que la plumasserie, une technique qui s’effectue par l’encollage minutieux de plumes. Avec ses bannières actualisées, Sarah Toung Ondo souhaitait également faire écho à la souffrance vécue par les communautés autochtones quand a eu lieu la découverte de corps d’enfants à Kamloops, en Colombie-Britannique, en 2021.
La plumasserie
Travail de grande délicatesse, la plumasserie consiste à préparer et sublimer des plumes afin de les transformer en accessoires, en éléments de costumes ou de vêtements, etc. D’une grande complexité, les plumes ne laissent pas de place à l’erreur. La colle doit être appliquée minutieusement pour éviter les éclaboussures. Historiquement, cette technique était associée au sacré, et elle a graduellement été adoptée par les hautes classes sociales. Aujourd’hui, on la voit être utilisée par les maisons de haute couture, dans le monde du spectacle de même qu’en chapellerie.
Titulaire d’un baccalauréat en mathématiques et informatique, Dominique Michaud a travaillé dans ce milieu avant de se consacrer aux arts textiles. Elle s’est par la suite formée en métiers d’art à la MMAQ en construction textile.
Ses œuvres combinent tissage, tricot, broderie et couture. L’artiste aime utiliser les matériaux naturels et va jusqu’à créer ses propres teintures. Elle travaille couramment avec le tissage multicadres et cherche, par l’emploi de plusieurs types de broderies, à créer du relief. Parmi les œuvres des Ursulines, elle s’est intéressée à la pale, un petit carré ouvragé qu’on dépose sur le calice pour protéger son contenu de la poussière.
La minutie de la broderie de la pale, mais également l’agneau et la croix au centre de l’œuvre l’ont inspirée à intégrer un élément végétal et un autre animal dans sa réalisation, insufflant par cette représentation l’idée de résurrection au sein de l’œuvre.
Le tissage multicadres
Ce type de tissage consiste à créer des étoffes de tissu à l’aide d’un métier à tisser en entrecroisant des fils de trame avec ceux de la chaîne. Les fils de chaîne, parallèles au sol, sont enfilés dans les lisses des cadres du métier. En appuyant sur un pédalier, les cadres se lèvent (ceux qui contiennent les lisses), et l’artiste fait passer un fil de trame avec une navette. Ensuite, le tissage est serré avec un ros (peigne), ce qui vient assurer sa densité. L’artiste décide de la longueur du tissage, et la complexité des motifs réalisés est déterminée selon le nombre de cadres que possède le métier.
Suzanne Paquette est l’une des rares artistes québécoises à maîtriser les techniques de l’art de la tapisserie de type haute lisse. Elle est titulaire d’une maîtrise en arts plastiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et elle a participé à la fondation du Conseil des arts textiles du Québec en 1980.
Suzanne Paquette a exposé ses tapisseries au Québec, au Canada et à l’étranger. En parallèle de sa pratique d’artiste lissier, elle a enseigné au Cégep Limoilou durant 27 ans et a collaboré au développement de la formation en métiers d’art entre 2006 et 2019 au Maroc. Au moyen de la broderie, elle s’intéresse au rapport entre l’espace privé et l’espace public, entre ce que l’on montre et ce qui est caché.
L’artiste s’est inspirée du voile de calice des Ursulines, avec ses broderies dorées, et elle a transposé l’usage du contour orné, un élément qu’elle n’avait jamais utilisé auparavant dans ses œuvres. Sa réalisation finale se veut un hommage au travail des Ursulines et à la transmission de leur savoir. Les losanges dorés, qui représentent les sœurs entourant le monastère, se trouvent au cœur de l’œuvre.
La haute lisse
À l’inverse du métier de basse lisse disposé à l’horizontale, le métier de haute lisse est disposé à la verticale et se travaille donc debout, avec les mains, sans pédalier. L’œuvre est fabriquée du bas vers le haut; l’artiste vient, à l’aide de la broche (outil), passer les fils de la trame à travers les fils de la chaîne pour créer les motifs. Il n’est pas nécessaire que le fil de trame aille d’une lisière à une autre; on peut le remplacer à n’importe quel moment par un autre fil d’une couleur différente, selon le motif à réaliser. L’œuvre s’enroule au fur et à mesure sur une ensouple. Ce faisant, l’artiste ne voit pas ce qu’il ou elle crée. Ce n’est qu’à la fin, lorsque la tapisserie est terminée, qu’il est possible de voir l’œuvre dans son entièreté.
La haute lisse a longtemps été considérée comme la tapisserie la plus noble d’entre toutes. Bien qu’elle ait traversé les siècles, la technique est demeurée presque inchangée.
Pour en savoir plus sur le travail de Suzanne Paquet, c’est par ici.
Louise Lemieux Bérubé est native de Montréal et titulaire d’un baccalauréat en histoire de l’art de l’UQAM. Elle a étudié le tissage Jacquard à la Rhode Island School of Design. Reconnue internationalement pour ses connaissances et ses créations en tissage de ce genre, l’artiste a reçu de nombreux honneurs, mentions et prix pour ses créations, notamment en tant que finaliste du prix d’excellence Saidye-Bronfman en 2005, un des plus prestigieux prix en arts visuels au Canada.
C’est au fil de sa carrière que Louise Lemieux Bérubé, qui se présentait d’abord et avant tout comme une tisserande, s’est établie comme artiste. Après avoir expérimenté la complexité du tissage au Jacquard, elle cherche aujourd’hui à s’exprimer à travers les techniques les plus simples.
À ses yeux, le projet Filiations comble non seulement sa passion pour le textile, mais également celle qu’elle a pour les religieuses. Lors de sa visite de la collection, un objet a tout de suite accroché son attention: une paire de manchettes. La finesse de ces broderies représente pour Louise Bérubé le travail humble des Ursulines. Sa réalisation finale se présente sous la forme d’une demi-manchette magnifiée par son format hors norme.
Le tissage Jacquard
Inventé au 19e siècle par Joseph Marie Jacquard, ce type de tissage et de métier facilite la création d’étoffes aux motifs d’une grande complexité tout en permettant une cadence rapide. Aujourd’hui, la plupart des métiers Jacquard sont informatisés, mais les dessins à reproduire étaient anciennement transférés sur des cartes perforées et lacées. Le métier Jacquard se distingue du métier multicadres par la finesse et la complexité des motifs exécutés. Chaque fil du métier s’insère dans une lisse qui est indépendante dans le métier Jacquard, contrairement au métier multicadres. Les métiers Jacquard peuvent actionner un nombre déterminé de fils — entre 400 et 1600 crochets —, tous indépendants les uns des autres. En fonctionnant ainsi, les motifs sont d’une grande précision et d’une netteté qui l’est tout autant. La largeur du tissage est déterminée par le nombre de crochets et la longueur n’a aucune limite, hormis celle qu’impose l’artiste. Ces métiers sont imposants et on n’en dénombre qu’une douzaine au Québec, dont deux se trouvent à la MMAQ.
Originaire de la Belgique, Véronique Louppe s’est initiée très tôt aux arts textiles, et vers 1980, la dentelle aux fuseaux s’est imposée comme sa technique de prédilection. En 1984, elle s’est installée au Québec et y poursuit depuis son travail de création.
En 2004, une bourse du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) lui a permis d’explorer un nouveau matériau: le métal. Ces expérimentations ont orienté définitivement sa pratique artistique, et ses créations en dentelle aux fuseaux sont depuis devenues des bijoux, des parures et des œuvres sculpturales. Les fils de différentes matières — or, argent, cuivre, aluminium et fils électriques — donnent de la rigidité et du maintien à ses œuvres.
Au cours de sa recherche, Véronique Louppe s’est attardée à un parement d’autel sur lequel le tissage lui donnait à voir des croix. Elle a décidé d’utiliser cette forme pour faire une interprétation d’une statue de Marie
de l’Incarnation.
Pour l’occasion, elle a créé un point de dentelle qui imite l’architecture de la chapelle des Ursulines, afin de confectionner trois croix représentant la religieuse accompagnée de deux enfants.
La dentelle aux fuseaux
La dentelle aux fuseaux est la technique ancienne qui était utilisée pour réaliser, manuellement, des textiles délicats et raffinés. Pour confectionner cette dentelle, un plan de travail — coussins ou carreaux, entre autres exemples —, des épingles et des fils enroulés sur les bobines-outils (appelées fuseaux) sont indispensables. La dentellière croise les fuseaux par des mouvements précis et répétitifs qui forment des motifs. Ces derniers sont dessinés sur un patron troué pour y planter les épingles.
Fixé sur le plan de travail, le patron indique le travail à effectuer, telle la partition pour le musicien. La réalisation d’une dentelle est un artisanat de longue haleine; par ailleurs, ce textile adopte différentes formes et différents décors en fonction des traditions régionales. Cependant, toutes les dentelles aux fuseaux de Belgique, de France, d’Italie, de Bulgarie, d’Angleterre et d’autres pays sont fabriquées avec la même technique de base.
Mireille Racine est artiste textile et chapelière. Elle a étudié en histoire de l’art et en arts visuels à l’Université Laval et elle est membre émérite du Conseil des métiers d’art du Québec. À travers ses créations, elle fait revivre les chapeaux et leurs moules.
L’artiste les transforme et leur donne une nouvelle voix, tout en se portant messagère de la mémoire de ce métier devenu rare. Ses œuvres rendent compte des matériaux anciens, des habitudes vestimentaires et des histoires de vie.
Pour Mireille Racine, la grande liberté propre au projet Filliations s’est révélée un moteur de création. Le choix d’inspiration à travers les œuvres des Ursulines, mais aussi l’orientation de l’œuvre finale lui a permis de créer un maillage entre sa propre histoire et de celle des sœurs.
Résidant dans l’ancienne paroisse de Sainte-Ursule, à Québec, la créatrice est allée puiser dans son enfance et dans l’histoire de la sainte femme. Mireille Racine a donc décidé de transposer la forme triangulaire du costume de Sainte-Ursule sur un moule à chapeau. Elle a ensuite brodé des motifs rappelant ceux de la cape de Sainte-Ursule, que l’on trouve également dans le Maryuoir de Mary Johnson.
La chapellerie
L’origine de la chapellerie n’est pas précise, mais les premiers usages du chapeau remontent à l’Antiquité. Jusque dans les années 1960, il se portait à de multiples occasions, représentant tour à tour une obligation sociale ou religieuse, ou encore un vecteur de message politique. La chapellerie utilise différents matériaux: le cuir, le feutre, les étoffes, la paille, la fourrure… Généralement, il faut partir d’une forme en bois ou en métal, sur laquelle on forme la matière; par la vapeur, l’assemblage (couture) ou le tressage, entre autres.
Pour en savoir plus sur le travail de Mireille Racine, c’est par ici.
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À propos de la Maison des métiers d’art de Québec
La Maison des métiers d’art de Québec est un organisme culturel voué aux pratiques contemporaines en métiers d’art. Située en plein cœur de Québec, elle comprend 25 ateliers en céramique, textile et sculpture répartis sur 7 étages. Elle a pour mandats la formation, la recherche et la création ainsi que le développement et la promotion des métiers d’art.
À propos du Pôle culturel du Monastère des Ursulines
La mission du Pôle culturel du Monastère des Ursulines consiste à témoigner de la présence et de l’œuvre des Ursulines ainsi qu’à transmettre leur héritage en offrant au public des activités qui misent sur des échanges, des expériences et des rencontres en arts et en patrimoine. L’organisme à but non lucratif assume la gestion du musée et de ses collections, en plus de s’occuper des archives administratives et historiques de la communauté. Le Pôle culturel développe également des activités qui mettent en valeur le legs culturel, artistique, archivistique, religieux et éducatif des Ursulines.
Crédits
Rédaction: Marie-Soleil Guérin Girard et Marie-Claude Leclerc
Recherche: Marie-Soleil Guérin Girard et Sophie Limoges
Technicienne de production: Elizabeth Lord
Cheffe de contenu: Ariane Gratton-Jacob
Coordination: Marie-Claude Leclerc
Photo couverture
Pôle culturel du Monastère des Ursulines et Maison des métiers d’art de Québec
Remerciements
La Fabrique culturelle souhaite remercier le Pôle culturel du Monastère des Ursulines pour sa précieuse collaboration.