La Fabrique Culturelle

Polo tous azimuts

Magazine Gaspésie

Ce texte, paru dans le numéro 200 du Magazine Gaspésie, est présenté en collaboration avec la Société de développement des périodiques culturels québécois (SODEP).

Un texte de Priscilla Guy
Artiste, cofondatrice de Salon58 et résidente de Marsoui

Le choix de démarrer un projet d’art contemporain en milieu rural peut parfois surprendre. C’est pourtant le pari de Salon58, un espace culturel loti entre les montagnes et bordé par la rivière Marsoui qui accueille des artistes dans le cadre de résidences de création, pour le plus grand plaisir des publics locaux qui viennent les applaudir. Néanmoins, la personne la plus populaire de l’équation, c’est mon voisin Jean-Paul. Artiste autodidacte et homme au grand cœur, il s’est imposé comme une figure incontournable de Salon58. Récit d’une rencontre improbable entre l’art expérimental et l’art populaire!

J’entends un vrombissement sourd au loin. Je jette un œil par la fenêtre. Entre les sapins qui encadrent le chemin, je vois se dessiner la silhouette de Jean-Paul chevauchant sa motoneige. Il éteint le moteur. Vêtu d’un massif chapeau de fourrure, d’une combinaison fluo et de gigantesques bottes d’hiver, il marche vers ma maison. J’ouvre la porte et tombe sur le visage enjoué de Polo, c’est comme ça que ses proches le surnomment, suivi de près par son chien qui bondit joyeusement dans tous les sens. Polo est venu m’offrir sa dernière toile, peinte le jour même. On y voit une maison aux grandes lucarnes qui ressemble vaguement à la mienne, avec un chemin sinueux, de grands arbres et un ciel inquiétant. Je l’ajoute à la collection: j’ai déjà plusieurs œuvres peintes par Polo chez moi.

Peintures, coupoles et création spontanée

Son art est inspiré de la vie que nous menons ici, avec ses montagnes, ses tracteurs, ses cabanes et ses chevreuils. C’est un art créé dans la spontanéité, avec les moyens du bord et surtout, avec beaucoup d’instinct et de soin.

Parfois sur toile, sur carton ou sur foam industriel, ses œuvres peintes sont étonnantes. On y trouve des formes appliquées grossièrement, mais aussi des images complexes réalisées avec beaucoup de précision. C’est en accumulant ses œuvres que j’ai découvert la fibre artistique de Polo: son style changeant, son sens esthétique singulier et son souci du détail. Les scènes de la vie quotidienne qu’il peint sont empreintes d’une beauté étrange, de ciels tumultueux, de ruisseaux étincelants et de personnages sympathiques.

Jean-Paul Rousseau et ses coupoles
Jean-Paul Rousseau et ses coupoles, en compagnie des artistes Eric Asselin et Valérie Poulin. Salon58

Impossible de passer sous silence les fameuses «coupoles» de Polo. Il s’agit d’anciennes antennes paraboliques sur lesquelles il peint des fresques illustrant la vie marsoise: ici, l’église; là, la montagne; plus loin, la rivière et sa cabane à sucre. Toutes les surfaces sont bonnes pour y peindre des vies colorées! Exposées sur son terrain ou accrochées sur des poteaux en bord de route, les coupoles de Polo sont de véritables objets d’art in situ qu’on peut admirer en passant en voiture. Rondes et creuses, petites et grandes, les coupoles semblent nous inviter à plonger dans un univers parallèle, comme si on observait une autre dimension par le trou de la serrure!

Une légende locale

Au fil du temps, sa bonne humeur et son art sont devenus des incontournables auprès des dizaines d’artistes qui passent par Salon58 chaque année, mais aussi auprès d’un auditoire plus large qui entend parler de lui comme d’une légende locale, à la radio ou par le bouche-à-oreille. On dit de quelqu’un ou d’un art qu’il est «populaire» parce qu’il est connu et qu’il nous est familier, parce qu’il est rassembleur et accessible. C’est bien le sentiment que j’ai quand je pense à Polo. Il reste proche des traditions qui ont sculpté sa vie, ici dans la forêt. Autodidacte, il s’engage dans la création en puisant dans son bagage personnel. Et pourtant, il est aussi porté vers l’inconnu et assiste avec enthousiasme à toutes les soirées d’art expérimental qui sont tenues à Salon58. Sa curiosité pour la performance, le cinéma expérimental, la poésie et la musique semble sans limite!

Si Polo s’inspire de son entourage pour créer, force est de reconnaître qu’il est une grande source d’inspiration pour plusieurs artistes de passage à Salon58: Émilie Monnet lui a dédié un poème; Kim-Sanh Châu et Anatoli Vlassov ont tourné des images en sa compagnie; Fontaine Leriche l’a intégré dans ses dessins; Philémon Cimon a écrit une chanson à son sujet!

La culture populaire qui l’habite est reproduite dans les œuvres des artistes qu’il côtoie, qui, à leur tour, laissent une trace dans la vie de Polo à travers la rencontre. Cette heureuse collision se fait tout naturellement.

« Jean-Paul est parti à la chasse
Bernard est parti à la chasse
L’orignal est dans l’garage
On l’pleme c’est l’heure du grand ménage
[…]
Attention Jean-Paul dans le salon
Joue du tam-tam Bernard un rigodon
Attention dors pas dans ton camion
Si t’es r’fredi fais le tour dans la nuit »

Philémon Cimon, extrait de la chanson «Merci Marsoui — La Colonie», composée durant une semaine de résidence à Salon58, 2020

Faire le pont

Finalement, Polo semble faire le pont entre plusieurs pôles: le populaire et l’expérimental; la tradition et la nouveauté; l’amateur et le professionnel; l’apprentissage et la transmission. Il se déplace d’un pôle à l’autre avec aisance et naturel. Il donne et reçoit dans la plus grande joie. Et cette joie est contagieuse, voire guérisseuse. C’est donc en attendant notre prochain café sur le coin du comptoir, notre prochaine rencontre sur la route de la rivière à Marsoui ou encore ta prochaine toile que je te dis merci, cher Polo. Longue vie à toi et à ton art!

Photo de couverture: Priscilla Guy et Jean-Paul Rousseau, dit Polo, avec des œuvres de ce dernier. Salon58.


Vous avez aimé ce que vous avez lu? Ce texte est tiré du numéro 200 du Magazine Gaspésie.

Couverture Magazine Gaspésie no 200