La Fabrique Culturelle

6 livres d’auteurs et d’autrices du Saguenay–Lac-Saint-Jean

Les Prix littéraires du Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean 2022

Chaque année, le Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean récompense les œuvres les plus marquantes qui ont été publiées par des auteurs et autrices originaires de la région ou y résidant depuis au moins cinq ans. Notre coin de pays étant particulièrement bien fourni en créateurs et créatrices de talent, la quantité et la qualité des titres en lice rendent chaque fois difficile pour les jurys de chacune des catégories l’élection des œuvres gagnantes. Qu’à cela ne tienne: malgré ce beau problème, heureusement, après moult séances de délibérations passionnées, ces derniers parviennent toujours à s’entendre. Voici donc les lauréats des prix littéraires du 58e Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean.

Un texte de Philippe Fortin-Villeneuve, président du CA du Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean

Territoire de trappe, de Sébastien Gagnon et Michel Lemieux

Catégorie «Roman»

Éditions Tryptique, Satellite

Western nordique original, sans compromis, déjanté, violent et savamment mis en scène, ce roman du néo-terroir frappe aussi fort que dans le mille. Dans cet univers traditionnel inquiétant, l’omerta autour des agressions sexuelles se paie chèrement: une punition sévère est infligée aux coupables, aux hypocrites et aux lâches. Histoire de vengeance se situant aux antipodes des archétypes du genre, l’œuvre innove par son ton nuancé et l’ambivalence morale qui teinte l’ensemble des personnages y apparaissant. L’ironie cinglante, la jouissive démesure des péripéties, le savoureux des descriptions et des dialogues, l’impressionnante adéquation entre fond et forme et la parfaite maîtrise de la langue populaire ont su gagner la faveur des membres du jury.

Nous le lac, d’Emmanuelle Tremblay

Catégorie «Poésie-théâtre»

Éditions Noroît

Par son imagerie intrigante tressée de cordes, de nœuds, d’écailles et de miroirs, qui happe le lecteur tout en le déroutant, le recueil d’Emmanuelle Tremblay captive par la beauté incandescente se dégageant peu à peu de la mosaïque des fragments, des bribes et des parcelles qui le composent. De constats désolés en impressions fugaces, la délicate difficulté d’un rapport au monde malaisé se déploie de façon aussi lucide que navrée, prenant appui sur une forme particulière de nostalgie: celle des possibilités qui n’ont pas eu la chance d’être explorées. Dans une langue porteuse et habitée, la poète énonce avec puissance et brio les angles morts du chemin qui mène à pouvoir être soi.

Journal d’un bibliothécaire de survie, de Charles Sagalane

Catégorie «Récit, contes et nouvelles»

Éditions La Peuplade

Fruit de plusieurs années de bourlingue aux accents naturalistes, à la fois intemporel et fortement enraciné dans une tradition littéraire empruntant à la culture japonaise, ce journal étonnant, dépositaire d’une prose sensible, d’une poésie inspirée et de miscellanées historiques triées sur le volet, se révèle le formidable témoignage, par-delà l’anecdote, d’une vie consacrée à l’écriture et à la création, des moyens d’y parvenir et des façons de s’y adonner. Avec élégance, finesse et sensibilité, Sagalane creuse un sillon d’une admirable beauté, où le temps et l’espace font office d’autel à la littérature et à l’infini de ses manifestations.

La promesse de Juliette, de Mustapha Fahmi

Catégorie «Intérêt général»

Éditions La Peuplade

En faisant le pari de ramener à hauteur humaine les plus grandes figures de la littérature universelle, Mustapha Fahmi s’inscrit dans la lignée des plus éminents vulgarisateurs littéraires de notre époque, rien de moins. De Shakespeare à Flaubert en passant par Aristote, Heidegger et plusieurs autres, le professeur met son érudition au service de la compréhension de tous en explicitant adroitement les leçons à tirer de la lecture des classiques, sans moralisme ni condescendance. Chacun des courts essais accompagne le lecteur avec lucidité, humour et connivence, dans l’optique de former de meilleurs lecteurs, oui, mais aussi, par extension, de meilleures personnes.


Je ne suis pas une outarde, de Sébastien Gagnon

Catégorie «Jeunesse»

Éditions Bayard Canada

Une excursion père-fille qui tourne mal fournit l’occasion d’aborder des réalités délicates telles que le deuil amoureux, le divorce parental et la mort, le tout avec humour et bienveillance. Morte dès le début du livre, la narratrice nous raconte le fil des événements ayant mené à son départ du monde des vivants. Des chapitres courts, une histoire aux accents dramatiques — mais d’où ressort néanmoins une apaisante luminosité —, l’omniprésence de la forêt, du nord et des lacs et un indéniable talent de conteur font de ce roman faisant la part belle à l’intelligence du lecteur une réussite complète, à tous les égards.

Y avait-il des limites si oui je les ai franchies mais c’était par amour ok, de Michelle Lapierre-Dallaire

Catégorie «Découverte»

Éditions La Mèche

Un premier livre qui toise la vie et ses douloureuses moiteurs, l’oubli de soi, le mal et la peur, dans un grand fracas maîtrisé dont le tumulte est aussi salvateur qu’héroïque. Une prise de parole essentielle qui s’inscrit en directe filiation des voix féminines fortes qui osent s’afficher dans toute leur vulnérabilité et leur vérité, avec ce petit quelque chose de plus, un soupçon de provocation, voire d’irrévérence qui lui confère une aura d’anticonformisme, faisant de la sorte un bienheureux pied de nez à la lourdeur des thèmes abordés; le tout dans une langue aussi frontale dans ses élans et brutale dans ses cris que désarmante et délicate au cœur de l’émotion.


À propos de Philippe Fortin-Villeneuve

Originaire d’Alma, au Lac-Saint-Jean, Philippe Fortin-Villeneuve est né en 1985. Libraire depuis une quinzaine d’années — d’abord dans l’usagé à Montréal, puis chez Marie-Laura à Jonquière —, il découvre chaque semaine de nouvelles raisons d’être en amour avec la profession. Partageant ses lectures entre le roman, la poésie, l’essai et la bande dessinée, il se concentre principalement sur les productions québécoises, sans pour autant dédaigner un Houellebecq ou un Dubois quand l’occasion se présente. Épris d’authenticité, d’audace et d’originalité, il affectionne tout particulièrement les livres qui tranchent, décapent et remuent la glaise de nos a priori.