La Fabrique Culturelle

Acheter une première œuvre d’art, mode d’emploi

Afficher une œuvre d’art dans sa demeure est un rêve que caresse plus d’une personne. Et contrairement à ce que beaucoup de gens pourraient croire, cette aspiration n’est pas inatteignable. Nul besoin d’être très fortuné pour collectionner de l’art: il faut d’abord (et surtout!) être un amateur passionné. Acheter une œuvre, c’est une façon de vous faire plaisir tout en soutenant un artiste dans sa pratique. C’est aussi une manière d’encourager l’ensemble du milieu des arts.

Toutefois, avant de vous lancer et d’acheter une œuvre, il y a quelques questions à vous poser, sans oublier certains aspects à considérer.

Pourquoi acheter une œuvre d’art?

Avant même de sortir votre portefeuille, il est important de vous interroger sur la raison de l’achat. Est-ce pour embellir votre maison? Encourager un artiste? Bâtir une collection thématique? L’œuvre sera-t-elle par la suite léguée à un musée? Les réponses à toutes ces questions influenceront votre choix final. «C’est une toujours une bonne idée d’avoir un point de départ, mais une fois que vous avez commencé à regarder ce qui s’offre à vous, si votre coup de cœur ne répond pas à votre besoin, ce n’est pas un frein à l’achat. Il comble assurément autre chose, comme un besoin de stimulation intellectuel ou émotif», explique Julie Lacroix, directrice générale de l’Association des galeries d’art contemporain (AGAC). Selon elle, il est bon de réfléchir au préalable à un tel achat, certes, mais il faut aussi accepter de vous laisser porter par l’expérience.

Fixer vos limites

Après avoir déterminé la raison de l’achat, il est recommandé d’établir un budget et de vous assurer de le respecter au moment de faire vos recherches. Rien ne sert non plus de dépenser une somme énorme lors du premier achat; vous pouvez penser à bâtir votre collection morceau par morceau, plutôt que d’acheter des œuvres très chères dès le départ.

Cependant, la directrice de l’AGAC croit qu’à cette étape aussi, il importe de faire preuve de flexibilité. Un coup de cœur qui dépasserait de beaucoup votre budget pourrait par exemple être payé par versements grâce à des modalités de paiement établies avec un galeriste. «Ça pourrait faire mal sur le coup, financièrement parlant, mais à la fin, vous avez une pièce qui a du sens pour vous et qui est pertinente», fait-elle remarquer.

Il est à noter que la reproduction d’une œuvre n’a aucune valeur. Si vous cherchez à faire un achat moins dispendieux, une option intéressante consiste à dénicher un multiple. Il s’agit ici d’une œuvre faite par l’artiste, mais offerte dans un tirage limité.

Établir vos préférences

Cela peut être utile de déterminer vos préférences artistiques avant de chercher une œuvre d’art. Certes, il arrive qu’un coup de cœur s’impose de lui-même, mais pour faire un achat éclairé (et ne pas le regretter quelques mois plus tard!), mieux vaut d’abord établir ce que vous aimez. Vous pouvez dresser une liste de vos types d’art favoris en vous interrogeant sur différents aspects. Abstrait ou figuratif? Couleurs vives ou neutres? Paysage ou portrait? À cette étape précise, il peut être utile de visiter les musées, les foires, les galeries et les centres d’art, ou encore de feuilleter des revues et des livres sur le sujet.

Julie Lacroix croit qu’il est intéressant de vous demander ce que vous avez envie de voir tous les jours. «C’est un point de départ. Et après, c’est de vous ouvrir et de voir plein de choses différentes qui ne vous attirent pas au premier coup d’œil. Vous bâtissez votre œil en regardant, mais en comprenant aussi», dit-elle. D’ailleurs, pour bien comprendre une œuvre, une discussion avec un galeriste se révèle incontournable. Ce dernier pourra entre autres vous renseigner sur les techniques artistiques utilisées, les matériaux, la démarche artistique et le processus de création derrière l’œuvre.

Procéder intelligemment à l’achat

Lorsque vous êtes prêt à délier les cordons de la bourse, il reste encore quelques éléments à vérifier. Tout d’abord: l’intérêt envers l’œuvre. À moins que le but premier soit de faire un investissement financier, il est certainement préférable, à l’occasion d’un premier achat, de respecter vos préférences personnelles. Si l’achat n’a pas à être fait dans l’urgence, la directrice de l’AGAC recommande de «dormir là-dessus» et de «prendre votre temps pour voir si ça vous parle toujours le lendemain».

Ensuite, pour vous conforter dans votre achat et vous assurer d’obtenir un sceau de qualité, il vaut mieux acheter auprès d’une galerie reconnue, toujours selon Julie Lacroix. De cette façon, vous vous assurez d’acheter une œuvre au bon prix et à sa juste valeur.

Pour la suite des choses

Après l’achat d’une œuvre, il est important de vous renseigner auprès du galeriste au sujet de ses conditions de conservation. Certaines règles de base s’appliquent, comme la recommandation de ne pas exposer l’œuvre à la lumière directe ou encore dans la salle de bain, car le taux d’humidité y est trop élevé. Attention, aussi, de ne pas placer l’œuvre à la portée des enfants, pour éviter les accrochages. Si l’œuvre n’est pas encadrée, il vaut mieux demander au galeriste les souhaits de l’artiste quant au style d’encadrement, et obtenir les coordonnées d’encadreurs réputés pour vous assurer de la qualité du travail effectué. Aussi, selon la valeur de l’œuvre achetée (à partir de 3000 $ en règle générale), il est conseillé d’ajuster votre couverture d’assurance habitation.

Qui sait: peut-être qu’après un premier achat, l’envie d’un deuxième s’installera? Vous pourrez alors continuer de suivre le travail de l’artiste que vous avez encouragé une première fois, car être un témoin privilégié de son évolution s’avérera très stimulant. D’ailleurs, si l’artiste en question participe à des expositions de groupe, cela représente une belle occasion de découvrir de nouveaux artistes qui pourraient partager des similarités avec son travail. Discuter avec le galeriste avec qui vous avez fait affaire (et en qui vous avez confiance) est aussi une belle manière de vous bâtir une collection harmonieuse. Ce spécialiste saura déterminer vos préférences et vous présenter des œuvres en conséquence.


L’arrivée d’un nouveau marché: les NFT

Bien que très récents, les NFT (non-fungible tokens, ou jetons non fongibles en français) gagnent en popularité depuis quelques mois et font couler beaucoup d’encre. Un NFT est un certificat d’authenticité et de propriété pour un actif virtuel ou physique, certifié dans la chaîne de blocs (blockchain en anglais). Il est inviolable et ne peut être copié. Lorsqu’un acheteur se procure une œuvre de cryptoart, certains comparent son jeton à l’achat d’une œuvre dédicacée.

Le cryptoart permet à un nouveau groupe — constitué d’artistes 3D, de graphistes et/ou d’illustrateurs — de monnayer son art. «Ça donne une certaine reconnaissance à cette culture Internet. Mais pourquoi en être propriétaire? Ça reste encore parfois obscur…», fait valoir la directrice de l’AGAC. Dans la pratique «conventionnelle» de l’art numérique, l’achat d’une œuvre comporte aussi les dispositifs d’exposition prévus par l’artiste. Du côté des NFT du cryptoart, l’acheteur peut exposer l’œuvre comme bon lui semble.

«À ce stade-ci, de ce qu’on voit, on est dans un écosystème parallèle», décrit Julie Lacroix. Les collectionneurs de cryptoart seraient d’ailleurs majoritairement étrangers à l’écosystème de l’art contemporain. «Ce sont souvent des investisseurs de cryptomonnaies, des geeks [fins connaisseurs] de l’informatique; une clientèle millénariale d’initiés, issue des technologies et de la culture de l’Internet.»

Quant à savoir s’il s’agit d’une bonne idée d’acheter du cryptoart pour votre première œuvre, Julie Lacroix répond: «Si l’acheteur est un geek complètement féru d’Internet: go! Pourquoi pas?» Cependant, si cela ne correspond pas à vos intérêts d’un point de vue artistique et que c’est seulement pour un investissement, mieux vaut attendre la prochaine génération d’œuvres NFT.


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Photo de couverture: Lefty Kasdaglis via Unsplash