Par un soir gris de novembre, il y a celles et ceux qui aiment se retrouver sous des couvertures de laine, en compagnie d’une tasse fumante pour relire les classiques fantastiques de leur enfance. Coucou Hermione! Quoi de neuf, Amos? On recherche le réconfort d’un récit fantastique d’une bienveillante familiarité. Mais il y a aussi ces gens qui n’attendent que les pluies et les vents sauvages de l’automne pour mieux frissonner. La Fab et la Maison des arts littéraires (MAL) vous proposent quatre lectures étranges pour temps étranges.
Un texte de Clara Lagacé, responsable de programmation de la MAL
Un homme reçoit un faire-part de sa mort en 1935, en Allemagne. Et pourtant, il est bien vivant. Drôle de hasard qui mène Herne Heimlicht (clin d’œil au Loup des steppes, de Hermann Hesse) à s’emparer de la nuit pour mieux plonger au fond de lui-même. Or, les ténèbres nocturnes lui réservent de bien étranges surprises: une bande d’enfants violents laissés à eux-mêmes, la rencontre d’une femme à la voix foudroyante et la découverte d’un bar où l’on reçoit l’appel littéral de la Mort grâce à un combiné de téléphone fixé aux tables. Ici, l’Allemagne du début du régime nazi se déploie subtilement au travers des terreurs tentaculaires de la nuit.
D’ailleurs rédigé uniquement après le coucher du soleil, le plus récent roman de Pierre Cendors propose une langue truffée de finesses qui prête bien sa voix aux promenades physiques et spirituelles du personnage principal. Est-ce l’écriture qui est hantée par la démarche rongée de solitude de Herne Heimlicht ou l’inverse? Chose certaine, celui ou celle qui est à la recherche de mystère onirique plonge dans Silens Moon (Le Tripode, 2019) avec délectation!
La nuit est une société secrète dont ne devient pas membre qui veut. — Pierre Cendors
Douze créateurs et créatrices ont pris la plume, dont Chrystine Brouillet, instigatrice du collectif, pour camper des nouvelles autour de ponts, ces «structures métalliques […] donnant l’illusion qu’un monstre de ferraille nous [avale]», pour reprendre les mots justes de Johanne Seymour tirés de sa nouvelle qui se passe sur le pont Victoria, à Montréal. Inspirée par le travail de son voisin, James Kennedy — un artiste visuel originaire de la ville de Québec—, Brouillet a fait appel à David Goudreault, à Marie-Ève Sévigny, à Martin Michaud, à Ariane Moffatt et à bien d’autres pour raconter les parcours de personnages entremêlés souvent malgré eux au destin de ces énormes constructions. Résultat: un dialogue surprenant entre arts visuels et littérature, puisque les œuvres de Kennedy sont reproduites au début de chaque nouvelle. Ponts (Druide, 2020) offre ainsi des histoires de transmissions familiales ratées, le portrait de pirates modernes de l’Île-du-Prince-Édouard, des amitiés oublieuses; bref, des récits qui composent l’ordinaire de nos vies, comme les ponts figurent dans l’ordinaire de nos paysages urbains.
— Pour découvrir l’univers visuel qui a inspiré Ponts, regardez cette vidéo de La Fab :
À mi-chemin entre un recueil de nouvelles et un roman, Faunes (Alto, 2019) est de ces inclassables qui brouillent les pistes et déjouent nos repères. Il s’agit là, d’ailleurs, du cœur de ce projet: troubler les contours qui séparent les humains de la nature et rappeler que nous, humains, sommes faunes avant tout.
Dans le premier livre de Vadnais, on suit Laura, qui est biologiste. Elle court de lieu en lieu pour débusquer cette nature qui reprend ses droits et qui continue d’étonner malgré (ou grâce à?) ce lent dépérissement du règne humain. Nous sommes sur une Terre du futur, mais d’un futur proche une Terre ravagée par les changements climatiques (et même, dans le cadre d’une histoire, tiens, tiens, par une maladie pandémique insondable…). On passe des brumes de Shivering Heights — ce spa englouti par les eaux — à une île sauvage cernée d’interdits, en passant par l’austérité d’un paysage nordique. Mi-bestiaire mi-vivarium, Faunes propose des récits d’une douce horreur puisque ceux-ci sont d’un réel inquiétant, et entre lesquels s’enchevêtrent des réflexions sur ce qui compose l’essence d’Homo sapiens. Rien de moins.
Peut-être que les rêves sont-ils aussi, comme chacun le pressent confusément, des présages dont l’être humain serait à la fois la source et le destinataire. Des mises en garde qu’il s’adresse à lui-même depuis un espace atemporel.— Christiane Vadnais
Poète coup de poing, poète lyrique et poète très drôle tout à la fois, José Claer propose, dans À l’abattoir des anges (L’Interligne, 2012), un poème-fleuve qui met en scène un «je» tiraillé. D’entrée de jeu, la table est mise: on a affaire à une double naissance, soit celle d’un poète et celle d’un meurtrier qui vit dans un monde où «la surface de la planète [est] encombrée de ruines, tout ce que la mémoire de nos aïeuls [a] oublié, que la lumière [est] posthume, que les saisons [vont] à reculons». C’est dans ce décor apocalyptique et surréel que Mina-Louve, tueur en série transgenre, piège ses victimes. Les vers narratifs de Claer happent et surprennent souvent par leur violence. Le poète cherche à défaire l’ordre du monde, l’ordre des mots, et désire trouver dans ses poches «N’importe quoi \ Des vérités de pacotille \ Les billes d’un ancien boulier chinois \ Un coquillage muet », n’importe quoi pour donner un sens au monde étrange dans lequel il vit.
Se réunissant le temps d’une Nuit de l’étrangeté virtuelle, le samedi 21 novembre 2020, les quatre auteurs et autrices liront des extraits de leurs œuvres ou d’inédits et continueront de creuser les thèmes qui les habitent: la mort, les frontières brouillées et l’étrangeté.
Photo de la une: Morgan Vander Hart via Unsplash