La Fabrique Culturelle

Peut-on bâtir des ponts au-dessus des trous de mémoire?

Liste de lecture des Libraires

En complément à la deuxième saison des balados La vie secrète des libraires, nous avons demandé aux Libraires de nous suggérer d’autres livres tentant de répondre à la même question que celle qui est posée dans l’enquête. Les libraires ont également inclus quelques propositions éclair, selon des catégories originales qui sont expliquées à la fin du billet.

Voici leurs propositions en relation avec l’épisode sur Je suis une maudite sauvagesse, d’An Antane Kapesh où l’on posait la question suivante: est-ce qu’on peut bâtir des ponts au-dessus des trous de mémoire?

 

1. Shuni, de Naomi Fontaine (Mémoire d’encrier)

On me pardonnera certainement d’avoir opté pour l’évidence, car le livre de Naomi Fontaine est le premier qui m’est venu à l’esprit. Par la forme même de l’œuvre, soit celle d’une longue lettre, Naomi Fontaine en appelle à la mémoire de l’Autre. Aux souvenirs. Et pas n’importe lesquels: ceux d’une jeune femme blanche, Julie (en innu-aimun: Shuni), qui a vécu dans sa toute jeune enfance au cœur de la réserve d’Uashat et qui y est revenue pour aider la communauté. Ainsi, l’objet même de cette lettre, son autrice et sa destinataire incarnent les matériaux parfaits d’un livre-pont construit non seulement pour s’adresser à l’amie du passé, mais peut-être, surtout, pour interpeller ce que celle-ci représente. Hommage d’appartenance vibrant, Shuni est une convocation littéraire de l’histoire, un appel à la reconnaissance de la valeur et de la beauté de la culture innue que la toute jeune fille blanche devenue femme peut maintenant être en mesure d’entendre. Et nous à travers elle. Car c’est notre attention que Naomi Fontaine exige par cette lettre adressée à l’amie, premier réceptacle symbolique de cette revendication vitale qui doit enfin être accueillie et reconnue par tous.

Catégories éclair

Autres suggestions:

Propositions de Josianne Létourneau, Librairie du Square (Montréal)

 

2. Jonny Appleseed, de Joshua Whitehead (Mémoire d’encrier)

Lorsque son beau-père décède, Jonny rentre de son exil à Winnipeg pour une semaine, afin de soutenir sa mère et sa kokum le temps des funérailles. Toutes ses appréhensions de retrouver l’endroit qui l’a vu grandir, en ce jeune oji-cri bispirituel, seront atténuées par les souvenirs de la tendresse de sa kokum, par l’amour entre eux qui transcende les mots et les langues. Les cultures qui ont nourri Jonny s’entrechoquent au plus profond de son être, mais font surtout de lui la personne qu’il est devenu. La viscéralité de ses désirs comme la puissance des souvenirs viennent nous toucher droit au cœur.

Si la langue d’An Antane Kapesh nous ramène dans un passé dont nous, Blancs et Blanches, n’avons pas appris, celle de Whitehead nous ramène dans un présent duquel nous devons être plus à l’écoute.

Comme pour chacun des ouvrages de leur catalogue, et Je suis une maudite sauvagesse n’y échappe pas, les éditions Mémoire d’encrier nous offrent un livre non seulement important, mais nécessaire.

Catégories éclair

Propositions de Catherine Bond, Librairie Fleury (Montréal)

 

3. Pélagie-la-Charrette, d’Antonine Maillet (Bibliothèque québécoise)

Il y a, dans la souffrance des peuples dépossédés, une cicatrice que l’on trouve, toujours similaire, dans les œuvres des survivants et de leurs descendants. Des populations entières, dépossédées, se retournent vers leur histoire respective pour mettre des mots sur cette douleur tentaculaire. On retrouve ce déracinement dans la littérature autochtone — comme c’est le cas pour An Antane Kapesh —, mais on le voit aussi dans la culture acadienne, elle-même arrachée à son territoire. La grande femme de lettres qu’est Antonine Maillet a su redonner vie à son peuple grâce à ses livres depuis de nombreuses années. Avec Pélagie-la-Charrette, Antonine Maillet raconte le périple d’une femme, d’un peuple entier, vers ses racines, son territoire: l’Acadie. Je retrouve auprès d’An Antane Kapesh et d’Antonine Maillet ce devoir de mémoire, de ces peuples qu’on a balayés de la main. Ces écrivaines sont de ces femmes fortes qui se tiennent debout, bras tendus vers cette nouvelle génération, pour leur raconter leur histoire.

Catégories éclair

Propositions de Marika B. Drapeau (Librairie Le Fureteur, Saint-Lambert)


Petit lexique des catégories éclair

· Même heure, même poste. Un livre québécois dans la même lignée que l’œuvre principale et qui répond à la question.
· Le monde à l’envers. Un livre québécois complètement différent de l’œuvre principale et qui ne répond pas à la question.
· En vers et en prose. Un titre québécois qui fait office de pendant poétique à l’œuvre principale si celle-ci est en prose, ou un titre québécois qui est un pendant prosaïque à l’œuvre principale si celle-ci est de la poésie.
· Autres temps, autres mœurs. Un titre québécois qui aborde les mêmes thèmes que l’œuvre principale, mais dont l’action se déroule à une époque antérieure (un livre historique, par exemple) ou ultérieure (comme un livre de science-fiction).
· Une image vaut mille mots. Un titre québécois qui aborde les mêmes thèmes que l’œuvre principale, mais du côté des albums jeunesse, des livres illustrés ou de la bande dessinée.
· Ça commence pareil. Un livre québécois, peu importe le genre, qui est jugé pertinent et dont la première lettre commence par la même lettre que l’œuvre principale.

Photo de la une: Patrick Tomasso on Unsplash