La Fabrique Culturelle

Pourquoi rêver quand on connaît déjà son futur?

Une liste de lecture des Libraires

En complément à la deuxième saison des balados La vie secrète des libraires, nous avons demandé aux Libraires de nous suggérer d’autres livres tentant de répondre à la même question que celle qui est posée dans l’enquête. Les libraires ont également inclus quelques propositions éclair, selon des catégories originales qui sont expliquées à la fin du billet.

Voici leurs propositions en relation avec l’épisode sur  Sudbury, de Patrice Desbiens, où l’on posait la question suivante: pourquoi rêver quand on connaît déjà son futur?

1. Personne n’a trouvé d’angle à la beauté, de Robbert Fortin (L’Hexagone)

Si le décès inopiné de Fortin peu avant la publication de ce recueil conféra une aura que l’on pourrait qualifier de sépulcrale à ces poèmes, ceux-ci étaient déjà chargés d’une résignation tendrement douce-amère. Les poèmes, souvent rédigés à la deuxième personne du singulier, donnent à croire que le poète s’interpelle lui-même, s’apostrophe, usant d’impératifs qui, parfois, prennent l’allure d’injonctions: « tiens-toi en rêve même si tu n’y crois plus trop / chante sobre en avouant que ça pourrait être possible ». De constats en décrets, le forfait n’est pas la moindre des choses qui est déclarée dans ce monde où «chacun va ses os» et où «personne ne réagit il y a des lunes / que vous ne savez plus à quoi ça ressemble / un cri d’homme défait par en dedans». Rêves émondés, futurs intérieurs, il semble n’y avoir d’avenir qu’en soi-même quand le poète s’enquiert: « est-ce trop demander / que vouloir sur terre / profiter de tous instants / qui rendent réelle / vie rêvée du dedans ». Une poésie sans artifice ni emphase, et qui va droit au but.

Catégories éclair

Propositions de Philippe Fortin, Librairie Marie-Laura (Jonquière)

2. Ce qu’on respire sur Tatouine, de Jean-Christophe Réhel (Del Busso Éditeur)

Entre le sous-sol défraîchi où il habite et ses fréquentes visites à l’hôpital, Christophe imagine un univers où il ne serait pas atteint de fibrose kystique et où il n’aurait pas à travailler comme commis au Super C ni à enfiler les rendez-vous au CLSC de Repentigny. Cette planète utopique sur laquelle il ne sentirait pas autant peser sur lui la pression de la solitude et de la fatigue, qui jamais ne laissent tomber leurs gardes. De références cinématographiques en références poétiques, sa prose sincère et crue plonge le lecteur au cœur de son quotidien répétitif, douloureux, mais également empreint de l’humour absurde qui est partout autour de nous. Pourquoi économiser et investir dans ses REER quand on sait que les chances de se rendre jusqu’à la retraite sont peu probables? Ne vaut-il mieux pas dépenser le peu d’argent en fast-food et en pâtes Sidekicks, et profiter du moment présent? Une suite de réflexions profondes sur l’existence, la maladie et la solitude.

Catégories éclair

Propositions de Catherine Bond, Librairie Fleury (Montréal)

3. Shuni, de Naomi Fontaine (Mémoire d’encrier)

«J’ai pleuré mon envie d’être blanche.» À elle seule, cette phrase respire l’immensité du nouveau roman de Naomi Fontaine. Rêver est un privilège qui ne s’accorde ni au futur pour les Autochtones ni au programme politique des gouvernements. C’est ce que les statistiques nous mènent et surtout les mènent à croire, écrit l’autrice innue. Shuni recueille ses lettres adressées à son amie Julie, d’autres à son fils, et parfois de simples souvenirs. Or, on comprend rapidement que ses phrases nous sont aussi destinées, nous, non-Autochtones. Ainsi, cet ouvrage est avant tout un tissu de récits qui se trempent dans l’histoire de la colonisation et qui se tord par la force de ses mots, où en découlent les réalités autochtones.

Catégories éclair

Propositions de Marilie Ross, Librairie Le Fureteur (Saint-Lambert)

4. L’épidémie de VHS, d’Alexandra Tremblay (Del Busso Éditeur)

L’épidémie de VHS, c’est d’abord l’histoire d’Häxan, une jeune adolescente ordinaire qui passe du temps ordinaire dans une ville éloignée assez ordinaire, Colombier. Puis, à l’été de ses 15 ans, elle fait la rencontre de Léo-Lune, un artiste déchu de Montréal venu se réfugier en région. Rencontre brute, trash, fatale, qui changera tout. Par cette rencontre, Häxan s’éveille à l’art, à la spiritualité, à l’excès. Bientôt, elle trouve sa propre voie hors de Colombier, hors de la tranquillité assurée de cette ville, pour l’univers citadin, dynamique et imprévisible que lui fait découvrir Léo-Lune. Porté par une prose teintée de franglais qui rappelle le milieu de l’auteur de Sudbury, ce court roman se démarque par les réalités hybrides qu’il expose. On alterne entre grande ville et région, entre adolescence et âge adulte, entre expériences psychotropes et tranquillité de la nature. Un récit excessif qui, par son exploration identitaire et culturelle, souligne la beauté de l’émancipation.

Catégories éclair

  • En vers et en prose: Arvida, de Samuel Archibald (Boréal)
  • Autres temps, autres mœurs: Le survenant, de Germaine Guèvremont (BQ)
  • Une image vaut mille mots: Pokko et le tambour, de Matthew Forsythe (Comme des géants)

Propositions de Marie-Hélène Nadeau, Librairie Poirier (Trois-Rivières)

5. Testament, de Vickie Gendreau (Boréal)

L’été 2012 à peine entamé, Vickie Gendreau apprend qu’une tumeur se loge dans son cerveau. Les médecins la préviennent: elle n’en a plus pour longtemps. Consciente de son statut de condamnée, elle se met à écrire plus que jamais. Que faire d’autre devant une fin qu’on sait imminente? Dans l’urgence, elle rédige Testament, roman déjà envisagé, mais pleinement concocté autour de ce diagnostic dévastateur. Le texte nous présente la jeune femme déjà morte et nous la révèle derrière les mots imaginés de son entourage et des documents légués à ce dernier sur clé USB. Sans nier son destin, elle trace elle-même ce qui suivra sa mort prématurée. Elle s’approprie la sélection des souvenirs d’elle qui resteront après son départ. À certains moments, elle s’invente ailleurs, collectionne les fennecs, ajoute des scènes et en supprime d’autres, parce que «La réalité [l]’ennuie. Elle [la] déçoit». Des distractions comme un affront devant l’inévitable.

Catégories éclair

Propositions de Sylvianne Blanchette, Librairie Pantoute (Québec)


Petit lexique des catégories éclair

· Même heure, même poste. Un livre québécois dans la même lignée que l’œuvre principale et qui répond à la question.
· Le monde à l’envers. Un livre québécois complètement différent de l’œuvre principale et qui ne répond pas à la question.
· En vers et en prose. Un titre québécois qui fait office de pendant poétique à l’œuvre principale si celle-ci est en prose, ou un titre québécois qui est un pendant prosaïque à l’œuvre principale si celle-ci est de la poésie.
· Autres temps, autres mœurs. Un titre québécois qui aborde les mêmes thèmes que l’œuvre principale, mais dont l’action se déroule à une époque antérieure (un livre historique, par exemple) ou ultérieure (comme un livre de science-fiction).
· Une image vaut mille mots. Un titre québécois qui aborde les mêmes thèmes que l’œuvre principale, mais du côté des albums jeunesse, des livres illustrés ou de la bande dessinée.
· Ça commence pareil. Un livre québécois, peu importe le genre, qui est jugé pertinent et dont la première lettre commence par la même lettre que l’œuvre principale.

Photo de la une: Ergita Sela via Unsplash