La Fabrique Culturelle

Lectures #LaFab: cinq livres pour l’automne

Qui dit fin de l’été dit température parfaite pour le cocooning et la lecture. En collaboration avec la Maison de la littérature de Québec, on vous propose ici quelques livres d’autrices québécoises dans lesquels plonger entre deux gorgées de chaï latté.

Suggestions de la Maison de la littérature


Madame Victoria, de Catherine Leroux

Alto

À partir d’un fait divers, Catherine Leroux explore les diverses trajectoires qui ont pu amener une femme à mourir seule sous les pins de l’hôpital Victoria. Chaque chapitre est un portrait, une plongée dans un univers et un destin. Le roman devient un kaléidoscope de courts scénarios finement ciselés qui se font écho jusqu’au vertige. — Isabelle Moisan

Les murailles, d’Erika Soucy

VLB

Il y a des réalités dont personne ne parle et qui, pourtant, mériteraient qu’on les raconte. C’est ce que fait Erika Soucy dans Les murailles. Dans une langue sensible, originale et authentique, l’autrice nous dresse le portrait de la vie de chantier sur la Côte-Nord, sans filtre ni retenue. Ce livre est une petite perle dans le champ de la littérature québécoise contemporaine.  —Bobby A. Aubé

Écoutez le balado de La vie secrète des libraires sur ce roman: https://www.lafabriqueculturelle.tv/balados/19/la-vie-secrete-des-libraires/episodes/73/erika-soucy-les-murailles

Les suggestions de #LaFab


Ton absence m’appartient, de Rose-Aimée Automne T. Morin

Stanké

Imaginez une seconde qu’on vous annonce, quand vous êtes enfant, que votre père va mourir d’un cancer et qu’il ne lui reste plus que quelques mois à vivre. Vous n’auriez pas la surprise de le voir prendre la vie à bras le corps et de vivre chaque jour comme si c’était le dernier. Et qu’il décide que ces derniers mois à venir lui serviront à vous former comme adulte en devenir. Imaginez maintenant que la vie lui laisse un sursis de 14 ans. Et que ce même élan se poursuit — vivre sa vie à fond, tant que ça se peut — pendant tout ce temps. C’est ce qui est arrivé à l’autrice de cet ouvrage, qui, durant plusieurs années, est devenue le projet de son père, un personnage plus grand que nature.

Dans ce livre, Rose-Aimée Automne T. Morin raconte, avec une plume talentueuse, touchante et évocatrice, ce qu’était la vie avec un père excentrique, hors norme; un père qui tenait à faire d’elle une parfaite «féministe, affirmée, égoïste, cultivée, dérangeante». Lourd projet à porter pour une enfant que celui de ce père fantasque et égocentrique (elle le dit elle-même). L’autrice nous emmène dans son histoire personnelle d’une façon qui, malgré tout, ne tombe jamais dans le pathos ou l’apitoiement, mais qui nous suggère plutôt une fine observatrice ayant réussi à prendre un pas de recul sur cette «enfance en accéléré» et nous la livre avec sensibilité et doigté. À travers sa propre histoire, celles de six autres personnes s’immiscent dans le bouquin, comme une façon de relativiser et de montrer que le deuil est aussi complexe que nuancé et que la résilience, même si elle se vit de mille et une façons, demeure avant tout humaine. C’est-à-dire imparfaite, construite de doutes, d’interrogations et, même, comme l’a souvent répété l’autrice, de besoins triviaux comme… faire du sexe. Parce que c’est dans le contact physique, sans mots, que peuvent parfois se passer les émotions les plus denses, les plus intenses…

Un livre à la fois dur et doux qui démontre une touchante vulnérabilité, mais qui jamais ne se départit de cette force vive que l’on sent de la part de l’autrice et qui se traduit par une écriture puissante et efficace. À lire sans faute.

Roux clair naturel, de Fanie Demeule

Hamac

Il arrive que l’on mente pour éviter de blesser quelqu’un. Ou encore pour cacher aux autres une petite lubie ou un plaisir coupable qu’on n’ose pas (s’)avouer. Mais, parfois, on peut mentir pour survivre. C’est le cas de la jeune femme dépeinte dans ce roman, qui veut à tout prix être rousse. Préoccupation puérile, peut-être, mais pas pour l’héroïne de cet ouvrage, qui est prête à tout pour être considérée comme telle.

L’histoire commence donc par un reflet. «Miroir, miroir, dis-moi qui est la plus belle?» semble dire la jeune femme à la fenêtre dans laquelle elle se mire. En fait, tout le récit tournera autour de cela: se mirer, se contempler, s’analyser, se scruter. Dans les miroirs; dans les yeux de l’amoureux; dans les yeux des passants et passantes; dans les yeux des autres rousses, aussi. Pour s’assurer que personne ne voit la faille, pour contrôler l’image de soi présentée au monde. Car la jeune femme a un souhait simple: être rousse. Mais pas une rousse qu’on crée à la carte à l’aide de teintures; une VRAIE rousse. Elle trouvera la formule magique dans une boîte de colorant au nom évocateur: roux clair naturel.

À partir de là, tout s’emballe. Parce que personne ne doit connaître son secret. Elle devient celle qu’elle a toujours souhaité incarner: une rousse «naturelle», dont la coiffure chatoyante promet monts et merveilles — sexualité débridée, peau de lait, halo de mystère, séduction fatale. Chaque semaine s’installera un rituel pour recréer ad vitam æternam la rousse idéalisée. Teinture des cheveux, des pointes et, tôt ou tard, des sourcils; fausses taches créées sur le visage; rasage des poils qui pourraient trahir la machination… Avec minutie, la demoiselle se réinvente doucement mais sûrement, trafiquant au passage les souvenirs d’enfance ainsi que les égoportraits pendant que, dans ses tripes, s’installe la peur constante d’être dévoilée au grand jour. Plus le temps file, plus elle devient grugée de l’intérieur… au même rythme que sa chevelure, qui s’effiloche à grands coups de faux pigments.

Après avoir offert un premier roman percutant sur l’anorexie (Déterrer les os, 2016), Fanie Demeule propose ici une fable cruelle sur l’apparence et sur l’aliénation. Attention: véritable thriller psychologique haletant qu’il faudra vous arracher des mains!

Le drap blanc, de Céline Huyghebaert

Le Quartanier

Il y a plus d’une dizaine d’années de cela, l’artiste française Sophie Calle a installé sa caméra devant le lit de sa maman mourante et s’est mise à la filmer, de peur de manquer les derniers instants de sa vie. Le projet, une vidéo de 11 minutes sur le dernier soupir d’une mère, s’intitule Pas pu saisir la mort et a été présenté à la Biennale de Venise de 2007.

Après avoir conçu Drap blanc à la Fonderie Darling en 2017, exposition dans laquelle elle avait imprimé 130 exemplaires de son livre d’artiste du même nom qui portait sur son père disparu, l’artiste Céline Huyghebaert, quant à elle, en a fait un livre paru au Quartanier en mai 2019. Comme en écho au travail de Sophie Calle, elle nous offre, avec ce récit, un processus similaire.

En avion pour se rendre au chevet de son père malade, l’autrice arrive en France et apprend que ce dernier a rendu l’âme alors qu’elle survolait l’océan Atlantique. Contrairement à Sophie Calle, Céline, elle, n’aura pas pu saisir la mort. Afin de faire son deuil et de se réconcilier avec une vie auprès d’un père alcoolique, dur et profondément malheureux, elle initie une enquête dans laquelle elle impliquera famille, amoureux et proches.

À l’aide d’entrevues filmées, d’enregistrements audio, de photos d’archives et de questionnaires — divers éléments dont elle nous fera la description dans le menu détail en nous donnant également accès aux verbatims —, l’autrice nous transporte au cœur de son investigation, qui nous permet d’en apprendre un peu plus non seulement sur cet homme mystérieux, mais aussi sur elle-même et sa quête de sens.

On se retrouve avec un livre qui n’est ni un roman ni un récit, pas plus qu’un compte rendu, mais plutôt une sorte de journal de bord que l’on parcourt la puce à l’oreille et le cœur ému par cette étude complexe mais empathique d’un être cher à jamais disparu, et dont on n’a jamais vraiment pu tisser les contours. Un livre d’une grande sensibilité, qui évite avec soin les comptes à rendre et qui se penche plutôt sur le beau de l’humain et sur sa capacité à se fabriquer des souvenirs moins douloureux ainsi qu’à se refaire continuellement. Très beau.