La Fabrique Culturelle

L’œuvre singulière de trois pointures de la photo

Campeau – Carrière – Clément

Depuis 40 ans, le regard des trois photographes et amis Michel Campeau, Bertrand Carrière et Serge Clément met en exergue la poésie là où le commun des mortels ne percevrait que de la banalité. À l’occasion de leur exposition collective intitulée aCCCumulation et présentée aux 10es Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie (RIPG), voici un tour d’horizon de leur œuvre respective — absolument fascinante — ainsi qu’un aperçu de leur nouvelle installation.

Campeau — photographe-archéologue

La carrière de Michel Campeau a pris un tournant international au milieu des années 2000 avec son brillant projet portant sur la disparition de l’argentique, La chambre noire (2005-2010). Sous son flash électronique, ces lieux de pénombre se sont révélés de façon émouvante; de nombreuses institutions du monde ont salué sa démarche et demandé à exposer ses images.

Plus récemment, le Montréalais s’est fait connaître également comme collectionneur émérite après que sa passion l’eut amené à faire briller les perles de la photo amatrice, extirpées des méandres du web. Comme un archéologue le ferait avec des artefacts, il a notamment fait resplendir dans une exposition et un livre une collection splendide de clichés pris par l’Américain Rudolph Edse.

Michel Campeau a rassemblé d’autres joyaux anonymes, avec pour fil conducteur l’acte qui consiste à photographier, dans Capital Camera Exchange Inc. — Anonymous Amateur and Professional Photographers (aussi aux RIPG cette année).

Sa démarche, à la frontière de l’art et l’anthropologie, lui a valu plusieurs récompenses prestigieuses ainsi qu’une exposition solo au Musée McCord, à Montréal, en 2018.

Il a présenté en juillet, à Francfort, The Donkey that Became a Zebra, une rétrospective de son travail des 15 dernières années. Le livre lié à cet événement paraîtra en août.

Cliquez sur le carrousel ci-dessous pour faire défiler une sélection de ses œuvres:

Sans-titre [Niamey, Niger]; série «La chambre noire», 2005-2010
Sans titre [Bruxelles, Belgique]; série «Dans la chambre noire», 2005-2009
Rudolph Edse filmant sa famille dans le salon, v. 1960; Série «Rudolph Edse — Une autobiographie involontaire», c. 1965
Photographie anonyme, c. 1960; série «Capital Camera Exchange Inc.»
My mother and father at restaurant Au Lutin qui bouffe, Montréal, 29 oct. 1963
Sans titre; Série «Autoportrait de l'artiste en charte grise»

Sans-titre [Niamey, Niger]; série «La chambre noire», 2005-2010
Sans titre [Bruxelles, Belgique]; série «Dans la chambre noire», 2005-2009
Rudolph Edse filmant sa famille dans le salon, v. 1960; Série «Rudolph Edse — Une autobiographie involontaire», c. 1965
Photographie anonyme, c. 1960; série «Capital Camera Exchange Inc.»
My mother and father at restaurant Au Lutin qui bouffe, Montréal, 29 oct. 1963
Sans titre; Série «Autoportrait de l'artiste en charte grise»

Carrière — photographe de l’intangible

Depuis 40 ans, Bertrand Carrière décline ses captivantes séries photographiques selon les thèmes de l’intime et de la mémoire des lieux.

Dans Lieux Mêmes (voyez le carrousel plus bas), ses images puisent leur inspiration dans l’histoire afin de «faire murmurer» des endroits qui, autrement, resteraient muets.

Son regard sensible capte aussi au quotidien ce qu’il nomme justement «les aspérités du visible», qui incarnent de façon poétique son monde intérieur. Photographe patient, il aime laisser dormir les images afin que le temps fasse son tri, pour ensuite les assembler dans des séries comme Le Capteur ou Signes de jour.

Au fil des années, il a décroché plusieurs bourses de création, et ses œuvres ont été exposées en Amérique du Nord, en Europe, en Russie et en Chine, en plus de faire l’objet de nombreux livres. À notre grand plaisir, l’ouvrage rétrospectif Solstice est en cours d’élaboration.

Voyez ci-dessous une sélection de son portfolio. Pour en voir plus, allez fureter quelques instants sur son site web.

De la série «Lieux Mêmes», tranchées, Beaumont-Hamel, Nord-Pas-de-Calais, France, 2006
De la série «Le Capteur», Motel, Baie-des-Sables, Québec, 2014
De la série «Le Capteur», Saint-Germain de Kamouraska, Québec, 2013
De la série «Le Capteur», la drache, Goesnes, Condroz, Belgique 2015
De la série «Après Strand», Val-d’Espoir, Gaspésie, 2010
De la série «Après Strand», Chafaud, Carleton-sur-Mer, Gaspésie, 2010
De la série «Caux», Étretat, Haute-Normandie, France, 2003

De la série «Lieux Mêmes», tranchées, Beaumont-Hamel, Nord-Pas-de-Calais, France, 2006
De la série «Le Capteur», Motel, Baie-des-Sables, Québec, 2014
De la série «Le Capteur», Saint-Germain de Kamouraska, Québec, 2013
De la série «Le Capteur», la drache, Goesnes, Condroz, Belgique 2015
De la série «Après Strand», Val-d’Espoir, Gaspésie, 2010
De la série «Après Strand», Chafaud, Carleton-sur-Mer, Gaspésie, 2010
De la série «Caux», Étretat, Haute-Normandie, France, 2003

Clément — photographe-poète

Les œuvres lyriques et mystérieuses de Serge Clément invitent à laisser de côté l’analyse et à s’abandonner au ressenti. Photographe de l’urbanité et du noir et blanc, il sait créer des textures et des ambiances uniques.

Ses images ont voyagé et séduit le public en Europe, à Hong Kong et au Canada. Passionné de livres photographiques, il en a publié une dizaine. En 2014, il a aussi conçu la première exposition québécoise spécifiquement consacrée à ce type d’ouvrages, en collaboration avec le directeur artistique de VU photo — Québec, Alexis Desgagnés.

Comme c’est le cas pour ses deux collègues et amis, Serge Clément fait resplendir les bribes de beauté dissimulées dans le ballet tourbillonnant de la vie de tous les jours.

Avis aux curieux: sa plus récente monographie, Archipel (2018), regroupe des photos tirées du corpus de ses 20 dernières années. Voyez ci-dessous quelques-unes de ses œuvres, ou consultez son site web, un véritable musée numérique.

aCCCumulation, ou 40 ans de photo au Québec

En entrant dans la salle où est exposée aCCCumulation, on se retrouve devant plus de 300 photos tirées des archives personnelles des trois photographes. Pas de grands formats, pas d’encadrement, pas de photos signées; plutôt des images de petite taille, fixées soigneusement au mur à la façon d’une mosaïque. Des portraits souvent pris à la volée, comme on le fait tous dans les fêtes avec ceux qu’on aime. Étonnamment, sans connaître les gens dont il est question, on ressort de la pièce avec le cœur qui vibre.

Extraits de l'exposition «aCCCumulation»
Extraits de l'exposition «aCCCumulation»
Extraits de l'exposition «aCCCumulation»
Extraits de l'exposition «aCCCumulation»
Extraits de l'exposition «aCCCumulation»
Extraits de l'exposition «aCCCumulation»

Extraits de l'exposition «aCCCumulation»
Extraits de l'exposition «aCCCumulation»
Extraits de l'exposition «aCCCumulation»
Extraits de l'exposition «aCCCumulation»
Extraits de l'exposition «aCCCumulation»
Extraits de l'exposition «aCCCumulation»

«Même si elles mettent en scène des inconnus, ces images font résonner pour chacun sa propre expérience de la photo amatrice, de l’amitié, de la famille, de la vie», explique Michel Campeau.

Chacun des clichés se lit à la lumière des autres qui l’entourent. «On n’est pas dans quelque chose de précieux, dans des photos encadrées, fait remarquer Serge Clément. Ça brise le côté du photographe avec le bon papier et le tirage parfait.»

«C’est une pratique naïve, dénuée de toute prétention», ajoute Bertrand Carrière, par ailleurs partisan de photos «antispectaculaires», par opposition à la surabondance actuelle d’images époustouflantes — et ce, souvent à des fins mercantiles. «Il y a quelque chose de merveilleux dans le non-moment, les temps morts et le silence des images», souligne-t-il.

 

Photo: Dominique Blum

La photo Polaroïd ci-dessus représente la clé de voûte d’aCCCumulation. En 1985, à l’anniversaire de Bertrand Carrière, les trois complices jouent à créer une série d’autoportraits pour immortaliser la journée. Les négatifs de ce moment fort dormiront dans les tiroirs jusqu’en 2015, date de la première mouture de l’exposition.

Une photo de l’exposition aCCCumulation

Sous la supervision de la commissaire Zoé Tousignant, aCCCumulation est en effet présentée cette année-là comme l’annexe d’une exposition des trois photographes à la Galerie Simon Blais, à Montréal. La réaction du public, touché par l’exercice, a surpris Michel Campeau, Bertrand Carrière et Serge Clément.

Cet été, ils sont heureux de répéter l’expérience, en version bonifiée et comme un tout autonome, à la suite de l’invitation de Claude Goulet, directeur des RIPG. Le thème de la 10e édition cadrait bien avec celui de l’installation: la rencontre. Pour l’occasion, un volet sur le «making-of» d’aCCCumulation a été installé au phare de Carleton.

À travers cette exposition désarmante et touchante, le trio raconte aussi un peu de l’histoire de la communauté photographique au Québec, puisqu’on y trouve les portraits non signés de ses collègues Gabor Szilási, John Max, Marcel Blouin, Normand Rajotte, Benoit Aquin, Bogdan Konopka, Yoanis Menge et John Londono, pour ne nommer que quelques-uns des réputés compagnons de la bande.

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Pour les chanceux qui sont en Gaspésie ou qui y passeront d’ici le 30 août, ne manquez pas aCCCumulation — Campeau — Carrière — Clément au centre d’artistes Vaste et vague, à Carleton-sur-Mer (détails ici).

Finalement, cliquez ici afin de consulter la riche programmation des Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie, qui ont cours jusqu’au 30 septembre.