La Fabrique Culturelle

Le 50e anniversaire du «bed-in» de John Lennon et Yoko Ono

L'entretien exclusif de Gilles Gougeon

Le 26 mai 1969, Gilles Gougeon, journaliste et animateur de Radio-Québec, débarque à l’hôtel Le Reine Elizabeth de Montréal pour s’entretenir avec John Lennon et Yoko Ono à l’occasion de leur légendaire bed-in.

La frénésie est à son comble parmi les journalistes, et un responsable finit par s’exclamer: «Everybody out, except Radio-Québec!» (tout le monde dehors, sauf Radio-Québec!). Gilles Gougeon se retrouve alors seul avec le couple mythique. Il nous raconte ce moment surréaliste, qui a marqué sa carrière, et nous fait entendre — pour la première fois en 50 ans — cette entrevue.

L’entretien exclusif de Gilles Gougeon avec John Lennon et Yoko Ono

L’entrevue présentée est le montage final tiré de l’émission de radio Exploring Music, réalisée par Jean-Pierre Parisse. Le réalisateur a conservé une dizaine de minutes de la conversation d’une vingtaine de minutes que Gilles Gougeon a eue avec John Lennon et Yoko Ono. De la musique a également été ajoutée au montage.

L’entrevue est anglais. Une transcription en français est disponible ci-dessous.

Transcription de l’entrevue:

05:46

Gilles Gougeon: Quelle importance la musique classique prend-elle dans votre vie?

John Lennon: Euh… ça n’a pas trop d’importance pour moi, car c’est de la vieille musique, et ma seule préoccupation, c’est le «maintenant»… La musique classique, c’est sympa, mais je n’ai pas le temps pour ça. La musique que je fais maintenant, je la considère comme la musique classique d’aujourd’hui, ou de la musique folk; appelez-la comme vous voulez.

06:09

GG: Mais croyez-vous que la musique que vous faites maintenant deviendra un jour de la vieille musique?

JL: Oui, bien sûr. Mais j’espère qu’on ne va pas la «mettre en vitrine», l’intellectualiser, comme on fait aujourd’hui avec la musique classique. Quand la musique classique était vivante, c’était de la musique populaire et, aujourd’hui, c’est comme un musée, hein? On devrait l’oublier.

06:28

GG: Vous voulez dire qu’aujourd’hui, on danse peut-être sur votre musique, alors que dans 100 ans, on pourrait simplement s’asseoir pour l’écouter?

JL: Bien oui. Quand nous faisons notre musique, c’est-à-dire la musique des Beatles ou la musique de John et Yoko, surtout, nous nous assoyons pour l’écouter. Et beaucoup de nos admirateurs s’assoient en fait pour l’écouter. Et il y a, dans une seule note, autant de variations et de modulations que dans une symphonie entière de Beethoven. Et si vous avez des oreilles, vous pouvez l’entendre. Dans notre musique comme dans celle de tant d’autres.

07:01

GG: Et tous ces gadgets électroniques font partie de ce qu’on pourrait appeler votre musique classique, votre musique de «maintenant»?

JL: Oui; aujourd’hui, l’électricité fait partie intégrante de nos vies, vous savez. Que ce soit dans la musique, ou dans ce microphone que vous me tendez, ou dans l’éclairage qui nous permet de voir… l’électricité fait partie d’aujourd’hui.

07:19

GG: Et quand vous aviez 13 ans, quel était votre univers musical? Dans votre tête et dans votre cœur?

JL: Elvis Presley [rires]. Le rock and roll. C’est quand j’avais 13 ans que ça s’est passé pour moi. Avant, enfant, j’avais un intérêt pour la musique; je jouais de plusieurs instruments, comme l’harmonica ou tout ce que j’avais à portée de main… Mais j’ai vraiment été happé, à 13 ans, par le rock and roll. Principalement Elvis et Little Richard.

07:45

GG: Pourquoi?

JL: Pourquoi? Parce que je l’ai été. Ç’a… Ç’a changé ma vie, vous savez.

07:49

GG: Croyez-vous que si Elvis Presley n’avait jamais existé, vous seriez ici, aujourd’hui, à parler de paix; à avoir fait autant d’enregistrements et de musique?

JL: Je ne peux pas spéculer sur ce qui se serait produit si je n’avais pas marché d’une certaine façon un certain jour, hein? C’est impossible.

08:04

GG: Dans votre vie, est-ce que c’était la même chose quand vous aviez 13 ans?

Yoko Ono: [Rires]

JL: La musique classique…

YO: J’ai… Vous savez, j’ai 10 ans de plus que John, environ. [Rires] Alors c’est une génération différente. Et quand j’avais 13 ans, c’était juste après la guerre… Et puis j’ai plutôt été éduquée dans une tradition de musique classique. Alors la musique que je jouais, au piano, et que j’écoutais, c’était toujours Bach, Beethoven, Mendelssohn, Debussy [rires], Ravel… Tous ces gens-là, hein? Et, plus tard, Honegger, Messiaen; vous savez, ceux-là. Et puis j’étudiais la composition, alors plus tard, j’ai découvert Schönberg, Berg, Webern, vous savez… Le dodécaphonisme de Schönberg m’avait particulièrement impressionnée.

08:58

GG: Écoutez-vous encore aujourd’hui ces musiques-là?

YO: Et après cela, voyez-vous, je me suis intéressée davantage à la musique électronique, à l’époque où elle était très populaire, dans les années 50, à New York. Et tout le monde composait en électronique… Alors je me suis mise à aimer des gens comme Pierre Boulez, vous savez; Stockhausen; etc. Mais maintenant, je crois… vous savez, que j’aime plus ma propre musique, et celle de John.

09:29

GG: Vous attendez-vous à ce que votre enfant devienne musicienne?

JL: Je ne m’attends à rien… Vous savez… Elle sera libre.

YO: Oui… [Rires] Elle devrait l’être.

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10:32

GG: Comment expliquez-vous tout ça? Il y a environ 10 ans, vous étiez quatre jeunes hommes à Liverpool, et maintenant, vous êtes toujours quatre — je ne sais pas combien vous êtes, maintenant, avec les gars et les filles —, mais vous êtes partout sur la planète musique en particulier, et sur la planète tout court. Comment expliquez-vous cette situation qui a évolué ces 10 dernières années?

JL: Les Beatles, ils étaient juste… Beaucoup de gens croient que les Beatles ont tout changé. Nous faisions partie d’un changement, vous savez; nous étions simplement sur une vague de changement qui déferlait partout dans le monde, avec la jeunesse. Et ça, je n’ai pas d’explication pour ça. C’est juste le fait que nous faisions partie de ce qui était en devenir. De la nouvelle jeunesse. Et c’est tout… Vous savez, quand les jeunes ont eu cette prise de conscience… et qu’ils n’étaient pas juste, genre, comme dans les années 20; comme durant la jeunesse de nos parents qui s’amusaient simplement à se balancer, suspendus à des chandeliers, et à danser, vous savez…

11:21

GG: C’est donc une création; vous êtes, de cette manière, un créateur.

JL: Nous sommes tous des créateurs. Et nous faisons tous partie de la création. Les Beatles l’étaient, et John et Yoko le sont, et les Beatles et leurs femmes, et tous les autres groupes, et tous les autres musiciens et artistes font tous partie de la création qui est en devenir. Bien… Au revoir!

La saga de l’entrevue perdue, racontée par Gilles Gougeon

La fameuse entrevue de Gilles Gougeon avec John et Yoko fait grand bruit en 1969, mais 10 ans plus tard, on ne la retrouve plus du côté de Radio-Québec (devenue Télé-Québec en 1996). Perdue dans les voûtes? Oubliée quelque part? On ne dépoussiérera le mystère qu’en 2019, juste à temps pour souligner les 50 ans du bed-in!