La Fabrique Culturelle

Derrière la caméra: cinq photos mises en mots

La neuvième édition des Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie , qui se tient du 15 juillet au 30 septembre, est un événement singulier qui s’articule autour de l’image, du message qui la sous-tend et de la création. Des expositions et des installations sont présentées sur 800 kilomètres de côtes, de façon à être en parfaite harmonie avec les paysages et les lieux choisis. Cette année, c’est sous le thème Chaos que 17 artistes sont réunis pour proposer de la matière à réflexion sur le monde qui nous entoure et ses bouleversements.

La Fabrique culturelle vous invite à vivre ces Rencontres à travers les photos d’Elena Perlino, de Janie Julien-Fort, de Myriam Gaumond, d’Isabelle Gagné et d’Eli Laliberté. Ces talentueux photographes ont accepté de prendre le temps de nous raconter un détail, une émotion ou une anecdote qui bonifie indéniablement notre expérience de spectateur.


Elena Perlino
Indian time

«Sheshatshit», 2017

Chaque matin, durant les six jours où j’ai partagé une tente avec un groupe d’Innus, cette petite fille venait me voir. Peut-être parce que j’aimais bien jouer avec elle ou parce que j’étais la seule étrangère. Je ne sais pas trop pourquoi, mais elle était là,  candidement. — Elena Perlino, photographe

En août 2017, moment où cette photo a été prise, Elena vivait son troisième séjour photographique chez les Innus du Québec et du Labrador. Elle était à Sheshatshiu pour photographier la préparation de l’important rassemblement annuel des aînés de différentes communautés. Deux cents tentes solidement ancrées, comme eux, sur leur territoire, les accueilleraient avec leurs familles. Entre quelques clichés, Elena a même eu la chance de prendre part au sapinage des tentes, technique qui consiste à tapisser le sol de branches de sapin pour rendre ces habitations plus confortables.

Cette enfant de Natuashish, déjà arrivée sur le site avec sa famille, se balançait souvent et simplement avec les cordons de la tente, balançoire de fortune en attendant de retrouver sa propre cour arrière. Pour Elena, c’était un moment simple et empreint de liberté, à l’image de son séjour à Sheshatshiu.

ELENA PERLINO : «Indian Time», vue de l’exposition, promenade, Gaspé, 2018.  Crédit photo: Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie (RIPG)

Détails du projet et biographie de l’artiste


Janie Julien-Fort
Les paysages éphémères

«Cité urbaine», 45.567532, -73.781682, du 01/07/2015 au 29/11/2015

Quand j’ai ouvert cet appareil photo, ç’a été un choc. C’est une des images qui a vraiment bien fonctionné. On sent à la fois le chantier, le temps qui passe; on sent les marques du papier chiffonné dans l’appareil photo et tout le passage du temps qui est venu altérer l’image. — Janie Julien-Fort, photographe

Solidement fixée à un poteau, une des 200 caméras fabriquées par Janie a tenu le coup pendant cinq mois, durée de l’exposition pour cette photo. Celle-ci dévoile le passage du temps de ce chantier de construction, un bâtiment à vocation médicale qui s’érigeait sur le boulevard Curé-Labelle, à Laval.

Chaque photo raconte les minutes, le soleil qui passe et le va-et-vient des gens du coin. L’œil aguerri de Janie y voit aussi les infiltrations d’eau ou encore les parasites nonchalamment installés à l’intérieur de la caméra, qui participent ainsi à l’unicité de l’œuvre finale.

Mettre un chantier sous surveillance, de façon anecdotique, mais sous surveillance quand même, doit demeurer une mission discrète pour faire en sorte que la caméra soit oubliée par les « vrais » surveillants du chantier ou par les passants trop curieux. Par un étrange concours de circonstances, le jour de l’installation de la caméra à l’origine de cette photo, Janie, son conjoint et son fils sont partis à l’assaut des rues de Laval à bord d’une MINI Cooper cabriolet peinte en damier. Difficile de passer moins inaperçu. La caméra a tout de même survécu!

JANIE JULIEN-FORT: «Les paysages éphémères», vue de l’exposition, promenade de Marsoui, 2018.  Crédit photo: Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie (RIPG)

Détails du projet et biographie de l’artiste


Myriam Gaumond
Le vent est tombé

La maison pêche

Ce matin-là, à Murdochville, je me suis levée super tôt pour aller prendre des photos puisque la veille, on m’avait dit: Myriam, demain, on annonce une gigagrosse tempête avec cinquante centimètres de neige!  Alors je m’étais dit: oh boy, je ne veux pas tant de neige que ça dans mes images! — Myriam Gaumond, photographe

C’est en novembre, en arpentant les rues d’une des villes les plus enneigées du Québec, qu’elle a immortalisé cette maison. Chemin faisant, deux jeunes écoliers curieux observant la scène lui avaient clairement indiqué leurs adresses pour avoir, eux aussi, LEUR maison dans la collection de Myriam. Comme quoi, même lorsqu’on est petit, notre maison, c’est LA maison. Dans les années 50, à l’époque de l’ouverture de la mine, ce type de constructions était érigé en série pour rapidement accueillir les travailleurs et leur famille.

Pour Myriam, qui s’intéresse aux villes mono-industrielles et à leur organisation sociale, la maison est un lieu central de rencontres et de socialisation, et elle représente un important aspect féminin de cette industrie foncièrement masculine. Lors de ses deux séjours à Murdochville  elle a rencontré plusieurs femmes inspirantes qui lui ont décrit leur quotidien et leur vécu avec leurs époux et leurs fils, ces mineurs qui quittaient chaque matin la lumière du foyer… pour l’obscurité totale. Soixante-dix ans après leur construction, Myriam pose un regard nostalgique sur ces jolies maisons, souvent voisines de terrains vagues ou de lieux abandonnés.

MYRIAM GAUMOND : «Le vent est tombé», vue de l’exposition, halte municipale, Caplan, 2018.  Crédits photo: Robert Dubé | Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie (RIPG)

Détails du projet et biographie de l’artiste


Isabelle Gagné
Stratotype digital-ien

«Échantillon», Gaspésie, 2018, et «Stratotype Digital-ien» | Gaspésie 2018

Comme tout touriste qui n’habite pas Percé, quand on y arrive, on est complètement absorbé par le rocher et le paysage. Au printemps dernier, quand je suis arrivée là, j’ai pensé… Percé est viré à l’envers! C’était avant le début de la saison touristique; il y avait de la construction partout, de la terre et des cônes. Tout était orange! Le paysage était complètement transformé et c’était inspirant. — Isabelle Gagné, photographe

Isabelle s’intéresse principalement aux paysages. Son œil les scrute et les analyse à la recherche d’éléments distinctifs, et quand c’est satisfaisant, elle prend une photo, qu’elle appelle un échantillon. Celui-ci alimentera un robot qui, en quatre minutes, générera une nouvelle image résultant d’une superposition entre l’échantillon et des images du web ayant des ressemblances visuelles avec celui-ci.

Au fil du temps, elle a pu déterminer avec plus d’exactitude quel genre de cadrage donne des résultats intrigants. Pour ce paysage en particulier, elle avait ciblé la maison isolée, le cap, l’eau et la roche comme des éléments ayant un fort potentiel pour générer des images insolites. Habituellement, elle fait peu de transformation sur ses photos avant de les soumettre à son robot, mais dans ce cas précis, elle avait accentué le orange, couleur dominante de Percé en mai dernier! Ce soir-là, elle avait envoyé à son robot une vingtaine de photos du cap pour finalement garder celle-ci, son paysage transformé préféré.

Vous pouvez découvrir ici , ce que l’algorithme de son robot générera comme image à partir d’une de vos photos de votre paysage préféré.

ISABELLE GAGNÉ : «Stratotype digital-ien», vue de l’installation, parc des Horizons, Carleton-sur-Mer, 2018.  Crédit photo: Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie (RIPG)

Détails du projet et biographie de l’artiste


Éli Laliberté
La cartomancie du territoire

Image d’un extrait vidéo la pièce «La cartomancie du territoire»

Cette image me met en contact avec le territoire de façon spirituelle. Ce n’est pas une image dans la beauté, mais plutôt une image mystique. Même si elle est en couleur, elle nous paraît en noir et blanc. C’est un peu ça, la cartomancie du territoire. ­­ Éli Laliberté, vidéaste et photographe

La cartomancie du territoire est une création théâtrale et vidéographique portant sur notre rapport aux réserves autochtones et aux réserves naturelles; sur la colonisation du territoire et de la pensée. Eli est le vidéaste, le faiseur d’images de ce projet. Les photos de l’exposition sont extraites des vidéos qu’il a tournées pour cette pièce.

À l’hiver 2018, période de froid sibérien sur la Côte-Nord, l’auteur et metteur en scène Philippe Duclos et Éli ont parcouru le territoire à la recherche d’images significatives. Leur défi: trouver le juste équilibre entre une image qui ne vient pas supplanter le propos, mais bien l’appuyer, pour permettre au spectateur de bien saisir l’intention derrière l’histoire de Philippe.

Cette image, prise par un drone entre les communautés innues de Maliotenam et d’Ekuanitshit (Mingan), symbolise bien le rapport au territoire. La forêt, éparse d’abord et plus dense ensuite, représente en quelque sorte une réappropriation d’un espace colonisé, exploité, transformé.

ELI LALIBERTÉ: «Cartomancie du territoire», vue de l’exposition, parvis de l’église, Matapédia, 2018.  Crédit photo: Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie (RIPG)

Détails du projet et biographie de l’artiste


Du 15 juillet au 30 septembre 2018, vous pouvez visiter les installations et les expositions des Rencontres dans 11 municipalités et 3 parcs nationaux de la Gaspésie. Les 17 et 18 août, la population est également invitée à assister à des projections, discussions avec les artistes, des performances et quelques projets participatifs qui se dérouleront à Miguasha, Carleton-sur-Mer et à Percé.


 

Remerciements: Claire Moeder et Claude Goulet pour Les Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie