La Fabrique Culturelle

Le Paysageographe madelinot

Le Paysageographe, c’est une manière atypique de voir et de faire danser le paysage des Îles-de-la-Madeleine. Ce projet collectif qui intègre la vidéo, la danse, la poésie et, surtout, une installation, consiste à décalquer le paysage dans un grillage… jusqu’à le faire disparaître. Ébauché par l’artiste en arts visuels Marianne Papillon, ce projet met également en scène la chorégraphe Cindy Mae Arsenault, l’autrice Christine Arseneault-Boucher et le vidéaste Nicolas Longpré.

Dans sa pratique artistique, Marianne est fascinée par la reproduction de ce qu’elle voit ainsi que par la recherche du réalisme et de la précision. La démarche proposée ici, c’est-à-dire la superposition de couches, s’inscrit dans la continuité des méthodes qu’elle adopte pour créer ses illustrations avec une tablette graphique, ou encore avec des logiciels de traitement d’images.

Pour atteindre l’objectif — reproduire une partie du paysage —, tout part d’un point précis, soit le point de vue de Marianne, elle-même positionnée à un point précis dans l’espace. Assise sans bouger et utilisant un seul œil pour fixer de façon précise et continue un élément derrière le grillage, Marianne étudie le décor, ce qui lui permet ensuite d’indiquer à Cindy où, dans les mailles du grillage, insérer les bouts de tissu afin qu’ils épousent parfaitement les courbes d’une structure, d’une montagne, d’un horizon, etc.

Marianne (l’œil) et Cindy Mae (la main). Site du Cœur des Îles, Havre-Aubert. Crédit photo: Yoanis Menge

En amont de la création

Le tissu, matière souple, colorée et facile à manipuler, est la matière première qui a servi à créer les décalques à travers les grillages du Paysageographe. L’équipe s’est donc approvisionnée en tissu récupéré, pour ensuite réaliser des corvées consistant à découper en petites bandes les pièces de tissu qui façonneraient le paysage.

Marianne durant la corvée. Crédit photo: Yoanis Menge

Le site du Cœur des Îles, situé sur La Grave, à Havre-Aubert, s’est avéré l’endroit le plus inspirant pour installer les structures en vue de la première étape du projet. Nicolas, vidéaste durant tout le processus, mais aussi logisticien à bien des égards, a solidement fixé les structures avec des pieux, plantés jusqu’à quatre pieds dans le sol, histoire de tenir tête au vent des Îles.

Nicolas et une partie du collectif lors de l’installation des structures du Paysageographe. Site du Cœur des Îles, Havre-Aubert. Crédit photo: Yoanis Menge

Communication complexe et langage codé

La première étape du projet consistait à créer des décalques dans les divers grillages ainsi qu’à réaliser des performances chorégraphiques. Le tout était ensuite présenté devant le public, qui était invité à visiter le collectif.

Par des méthodes de communication précises, voire un langage codé inventé spécifiquement pour cette tâche, l’œil de Marianne guidait la main de Cindy, main qui tricotait le tissu à travers le grillage pour décalquer de manière unique le paysage observé par Marianne.

Le point de vue de la photo qui suit, lequel n’est pas celui de Marianne mais bien du photographe, présente une séance de création consistant à décalquer une structure érigée derrière le grillage. On y voit différents bouts de tissu, qui, de ce point de vue, ne représentent rien d’explicite.

Cindy Mae exécutant les mouvements et tâches dictés par Marianne. Site du Cœur des Îles, Havre-Aubert. Crédit photo: Yoanis Menge

Toujours dans l’œil du photographe, cet autre point de vue permet de voir au loin, à gauche de la création en tissu (et donc à droite de Cindy Mae), la structure qui est décalquée, soit un ensemble de panneaux solaires.

Cindy Mae exécutant les mouvements et tâches dictés par Marianne. Site du Cœur des Îles, Havre-Aubert. Crédit photo: Yoanis Menge

Finalement, ce point de vue est le point de vue, celui où l’installation des tissus épouse parfaitement la structure derrière… jusqu’à la faire disparaître.

Paysageographe, site du Cœur des Îles, Havre-Aubert. Crédit photo: Yoanis Menge

Au cours de cette expérimentation, les stratégies de communication entre Marianne et Cindy ont été au cœur du projet. Les quatre artistes révèlent avoir été surpris et parfois même un peu découragés par la complexité de la tâche, mais sincèrement impressionnés par le résultat.

Comme un grand ballet

Tous les mouvements de ce grand ballet, dansé par Marianne et Cindy, ont été captés par  Nicolas dès les premières expériences avec le prototype du Paysageographe à l’automne 2017. C’est ainsi que Cindy Mae, chorégraphe et danseuse, a pu étudier toute la gestuelle du projet pour créer des chorégraphies qui ont été présentées au public durant le processus. C’est en s’inspirant des mouvements — que Marianne et elle exécutaient durant les échanges pour la création — qu’elle a construit différentes séquences et enchaînements. Elle les a ensuite enseignés à Marianne, Christine et Lucie Lewis-Parent, qui ont performé avec elle devant le public.

Pour Cindy, créer dans un tel contexte lui a permis d’explorer de nouvelles façons d’aborder le mouvement et lui a également offert une occasion unique de création qui n’aurait pu exister sans le Paysageographe.

Au premier plan, Cindy Mae et Nicolas. Site du Cœur des Îles, Havre-Aubert. Crédit photo: Yoanis Menge
Au premier plan, Marianne. Site du Cœur des Îles, Havre-Aubert, lors d’une performance devant public. Crédit photo: Yoanis Menge
Au premier plan, Lucie. Site du Cœur des Îles, Havre-Aubert, lors d’une performance devant public. Crédit photo: Yoanis Menge

Aux dires du collectif, cette expérience prenait tout son sens lorsque le public était invité à prendre la place de Marianne pour expérimenter le décalque à travers le grillage. Dès qu’il voyait le paysage disparaître, en parfaite superposition avec l’œuvre, quelque chose se passait dans l’esprit du spectateur; une compréhension immédiate du projet; un éclair de lumière qui permettait de valider instantanément la démarche des artistes.

Un membre du public expérimentant LE point de vue. Site du Cœur des Îles, Havre-Aubert. Crédit photo: Yoanis Menge

Comme ultime étape du projet, les artistes se sont installés à la Grande Saline pour se dédier complètement à faire vivre au public toutes les étapes créatives du Paysageographe. Ainsi, les gens ont pu échanger avec le collectif à propos de la démarche et des résultats, et surtout, ils ont eu la chance d’expérimenter la gestuelle du projet et différentes techniques pour décalquer.

Le public expérimentant les mouvements et la gestuelle liés au Paysageographe. Grande Saline, Havre-Aubert. Crédit photo: Yoanis Menge
Le public expérimentant les mouvements et la gestuelle liés au Paysageographe. Grande Saline, Havre-Aubert. Crédit photo: Yoanis Menge
Un membre du public expérimentant une technique pour décalquer. Grande Saline, Havre-Aubert. Crédit photo: Yoanis Menge
Un membre du public expérimentant une technique pour décalquer. Grande Saline, Havre-Aubert. Crédit photo: Yoanis Menge

Doubler le noir le long du tissu de ta peau pour en conserver les contours — Christine

Pendant ce processus de mise en abyme, il y a eu le regard de l’illustratrice Marianne, celui de la chorégraphe Cindy Mae et celui du vidéaste Nicolas. Un dernier regard est venu circonscrire le langage de cette démarche, soit celui de Christine. Celle-ci, qui était d’abord au cœur de la communication et de la médiation culturelle entourant ce projet, s’est naturellement laissée porter vers ce qui la passionne, c’est-à-dire l’écriture et la poésie. Sa participation en tant que danseuse et son oreille attentive lors des communications entre l’œil et la main, sans oublier ses rencontres avec le public, lui ont inspiré des mots, des phrases. Elle a donc créé des enchaînements qu’elle a rédigés sur les bouts de tissu pour en faire une installation littéraire qui complète le Paysageographe.

Laisse-moi rencontrer la couleur de ton paysage — Christine

Voir avec tes yeux (dans les miens) — Christine

Christine Arseneault-Boucher. Grande Saline, Havre-Aubert. Crédit photo: Yoanis Menge
Installation littéraire de Christine. Grande Saline, Havre-Aubert. Crédit photo: Yoanis Menge

Au terme de cette expérience, Marianne Papillon continue de réfléchir aux perspectives, à la reproduction ainsi qu’à l’utilisation de la 2D pour reproduire la réalité tridimensionnelle. Cette autodidacte fait également le constat que sa démarche actuelle, très souvent numérique, l’a ramenée malgré elle au 15e siècle, période ou de grands maîtres (comme Leonard de Vinci) expérimentaient aussi ce genre de démarches, explorant pour la première fois la perspective dans leurs œuvres.

Pour l’ensemble du collectif, c’est une expérience hors du commun, dans laquelle le processus a été tout aussi important que le résultat, et où chacun a pu expérimenter son art en sortant de sa zone de confort, en s’inspirant de l’élan des autres.

Comme trace tangible de cette inspirante démarche éphémère, Nicolas produira une vidéo qui documentera tout le processus, les rencontres et les performances.

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