La Fabrique Culturelle

Lectures #LaFab: 5 livres sur la complexité de la nature humaine

Des titres forts qui lèvent le voile sur la nature, parfois peu reluisante, des humains.

Le goupil – Éric Mathieu

La Mèche

Après Les suicidés d’Eau-Claire, on ne pouvait que faire ce constat: une nouvelle plume exceptionnelle venait d’émerger au Québec. Et, bonheur, voilà que l’auteur de cet excellent (quoique troublant) premier roman récidive avec un nouveau titre. Cette fois, l’histoire – toujours située en France – nous parachute en 1945 où vient de naître un curieux petit bébé: Émile Claudel, qui sera rapidement surnommé Le Goupil, nom que l’on donnait autrefois au renard. La particularité de cet enfant, mis à part son physique ingrat? Il parle. Sans arrêt. Même tout bébé, il a un fascinant don, non seulement pour les mots, mais aussi pour les langues étrangères. Il babille constamment, au grand dam de sa mère qui n’arrivera jamais à avoir de l’affection pour ce garçon étrange.

De sa petite enfance à l’âge adulte, on assistera aux réflexions et questions existentielles de cet être singulier, qui ne semble jamais à sa place dans le monde. On lit avec avidité et curiosité ce second roman brillant, en se réjouissant à chaque page des descriptions détaillées de couleurs, d’odeurs et de sensations que nous offre ce fameux goupil, fin observateur. Si on fait le jeu des comparaisons, on s’amusera peut-être à trouver que ce livre savoureux rappelle à la fois Le Parfum de Patrick Süskind, sans oublier L’Homme blanc de Perrine Leblanc et un peu de Comment devenir un monstre de Jean Barbe. Bref, c’est à lire impérativement.

L’allumeuse – Suzanne Myre

Marchand de feuilles

Si vous souhaitiez apprivoiser le quartier Montréal-Nord pour en découvrir les charmes, eh bien… ce livre n’est pas pour vous! C’est que les histoires racontées ici ne font pas reluire cet endroit mal-aimé de Montréal, mais chambouleront à coup sûr lectrices et lecteurs. Car ces courts récits ne sont pas roses et flirtent allègrement avec la violence, qu’elle soit verbale, psychologique ou sexuelle.Pourtant, elles sont réjouissantes, ces nouvelles! L’auteure a le talent de parvenir à camper en quelques lignes seulement une invraisemblable (mais toujours plausible) situation, qui peut nous faire rire autant que grincer des dents. On se surprend à trouver qu’elles sont bien courtes, ces histoires. On en prendrait encore plus, même si ça finit parfois dans un bain de sang! Un plaisir presque coupable qui ne nous tombe des mains  que lorsqu’on atteint la quatrième de couverture!

M.I.L.F. – Marjolaine Beauchamp

Éditions Somme Toute

«Chus pas intacte, crisse d’homme moderne à marde, j’aurais donc dû le savoir. Prends ton esti de sac de fille pis décâlisse, va fourrer des nymphettes avec un trouble alimentaire, moé m’as aller me pogner des chauffeurs de grue avec un fétiche de fuckée.

Tout le monde a sa place, han?»

La parole crue et souvent dure de Marjolaine Beauchamp en est certainement une des plus intéressantes actuellement, parmi les voix poétiques du Québec. Si on la voit et on l’entend partout, c’est qu’elle a cette façon bien à elle de rendre l’émotion, d’illustrer les périls et la mouvance du coeur et de la tête avec justesse et simplicité. Dans M.I.L.F., le ton et l’urgence de dire – présents dans tous ses écrits – sont toujours là, vivants, furieusement directs et totalement coup de poing. Et, même si l’expression est édulcorée, on le dira quand même, parce que c’est vrai: son écriture fait réfléchir. À l’amour, à la féminité, au couple, au célibat, aux enfants, aux relations, au sexe, à la violence. Elle nous dit, en gros: voici mes mots, mes tripes, le tout sans fioritures pour adoucir le propos. C’est politically incorrect et c’est parfait comme ça.

Bon chien – Sarah Desrosiers

Hamac

C’est une histoire presque tragique, que celle que Sarah Desrosiers raconte dans ce premier roman. Ancienne danseuse de ballet classique, on a l’impression que la jeune auteure a des comptes à régler avec l’institution d’enseignement où elle a été formée. La narratrice est une ballerine, sortie depuis peu du carcan de la formation artistique qui a rythmé toute son adolescence. L’essentiel du roman est écrit à la deuxième personne, la narratrice s’adressant au «tu» à la jeune fille qu’elle a été, posant sur elle un regard sans complaisance, mais souvent empreint de pitié.

L’histoire ici n’est pas celle d’une enfant prodige, mais bien celle de la cancre de la cohorte, une ballerine sans grand talent, mis à part celui de travailler avec acharnement. Celle sur qui pèse en permanence la menace de l’expulsion, celle qu’on humilie à répétition, sans même s’en apercevoir, celle qui s’efface devant les autres, celle dont les «problèmes rédhibitoires» constituent un obstacle insurmontable, bloquant irrévocablement le rêve d’une possible carrière de danseuse étoile. Le «tu» interpelle le lecteur de manière fort efficace, et on ressent douloureusement la discipline stricte à laquelle s’astreint la jeune danseuse, les sacrifices qu’elle s’impose, les blessures qui meurtrissent son corps et l’angoisse qui, souvent, l’envahit.

Taqawan – Éric Plamondon

Le Quartanier

C’est avec une certaine appréhension qu’on a abordé la lecture de ce court roman, paru il y a un peu plus d’un an. Certains amis avaient été bien déçus de cette bifurcation dans l’œuvre de l’auteur de la formidable trilogie 1984, magnifique ovni ayant atterri sur la scène littéraire quelques années plus tôt. S’il est vrai que l’auteur emprunte un nouveau chemin dans Taqawan, le résultat ne nous a pas déplu du tout. Avec comme trame de fond les affrontements ayant opposé les forces de l’ordre aux pêcheurs mi’gmaq de la réserve de Restigouche pendant la crise du saumon en 1981, le roman met en relief les rapports souvent troubles qui unit le Québec aux Premières Nations. Les personnages, bien campés et attachants, servent principalement de véhicule au propos politique et social, qui transparaît dans chacune des pages de cette fiction historique documentée avec rigueur. Si les multiples rebondissements qui truffent le récit en viennent presque à nous donner l’impression de lire une des aventures de Bob Morane, on n’en demeure pas moins charmé par la plume admirable de Plamondon. Une lecture captivante, qui vous fera passer un bon moment.

Et vous, quelles sont vos plus récents coups de cœur?