La Fabrique Culturelle

La nuit de la poésie érotique

Un bordel littéraire éclectique

Samedi soir, 23h03. Loin du bruit et du mouvement qui anime le centre-ville de Gatineau, une douzaine de poètes s’enferment dans une énorme maison de pierres, cachée en plein milieu d’un parc. On s’installe sur le comptoir de la cuisine, dans les fauteuils, sous la douche et on fume une dernière cigarette sur la petite terrasse de l’atelier. Les curieux.ses entrent déjà par dizaines.

Éric Charlebois

Ils sont nombreux à avoir répondu à l’appel de l’Association des auteurs et auteures de l’Outaouais (AAAO) et de l’Association des auteures et auteurs de l’Ontario français (AAAOF). Le public convié à la Maison Fairview pour ce bordel littéraire ne sait pas tellement à quoi s’attendre de cette soirée, outre sa thématique érotique et son parcours déambulatoire. Les amoureux de poésie plongent tête première dans une orgie de textes récités, chantés, criés ou chuchotés par des auteurs Outaouais de toutes les générations.

C’est le poète et auteur franco-ontarien Éric Charlebois qui ouvre le bal, dans l’énorme salon de la villa, reconverti en salle de conférence. Assis sur une chaise posée au milieu d’une grande table de bois, il offre une lecture passionnée de son texte Le faon et la fente.

Michelle Lapierre et Mélanie Rivet

Dans la salle à manger, le duo formé de Mélanie Rivet et Michelle Lapierre récite Chair crue aux spectateurs.trices qui se cherchent une place à travers les pièces bondées. Dans un éclairage tamisé, les deux femmes, à qui l’on doit l’organisation de la soirée, peuvent enfin oublier leurs soucis de logistique et s’abandonner dans leur texte qui émeut la foule présente.

Marjolaine Beauchamp et Francis Faubert

Toujours au rez-de-chaussée, la poète, dramaturge et comédienne Marjolaine Beauchamp s’apprête à livrer sa troisième performance de la soirée. Après avoir participé au spectacle poétique des éditions de l’Écrou et à une soirée de poésie à la microbrasserie Gainsbourg, on peut certainement dire que l’invitée d’honneur de ce 39e Salon du livre de l’Outaouais profite pleinement de sa fin de semaine. C’est l’auteur-compositeur-interprète Francis Faubert qui accompagne Beauchamp dans cette performance, comme le veut la tradition depuis le lancement du recueil Fourrer le feu en 2016.

Loïse Lavallée

Les doyens de la poésie locale ont élu domicile à l’étage, dans des ambiances et décors chaleureux. Guy Jean est confortablement assis sur le lit de la chambre des maîtres et nous livre « J’écris sur ton ventre », tandis qu’au salon, Loïse Lavallée nous fait la lecture des textes tirés des recueils « Une faim de louve » et « Le muscle de l’étreinte ».

Lisa L’Heureux

Quelques mètres plus loin, les auteurs Lisa L’heureux et Yves Turbide nous accueillent au coeur de l’espace intime de l’écriture : une minuscule pièce dans laquelle on ne retrouve qu’une chaise et une simple table pour écrire. Lisa L’heureux s’installe sur cette table, lance une musique d’ambiance et lit  Scratcher la surface à la faible lueur d’une lampe de travail.

C’est la voix de la slameuse et dramaturge Josianne T Lavoie qui nous appelle dans le vaste atelier vide. La jeune auteure réussit un tour de force en installant une ambiance de proximité dans une pièce aussi froide. Avec un carnet et un bout de fil, Lavoie identifie une « cible » pour lui livrer directement son texte dans un geste continuel de va-et-vient entre le récepteur et elle.

Josianne T. Lavoie

La plus grande surprise nous attend dans une grande salle de bain, derrière le rideau de douche. Le poète Gabriel Robichaud nous attend patiemment, assis sur une chaise de bois installée dans la baignoire sur pattes. Dès que la porte se ferme, l’auteur acadien se dévoile et nous livre un texte inédit, avec toute la fougue qu’on lui connait.

Cette fin de soirée riche en mots et en émotions se termine dans le sous-sol caverneux de la Maison Fairview. L’éclairage bleuté et l’ambiance sonore appuient l’allure hantée de cette pièce, la plus mystérieuse du parcours. JF No et Alexandre Deschênes ont réussi à créer une bulle dans laquelle on souhaite passer la nuit entière. Grâce à leurs textes fêlés aux accents trash, tirés du répertoire de No et du recueil Buckingham Palace de Deschênes (2017), nous sommes exposés à une tout autre perception de l’érotisme. Ce qui se passe dans le sous-sol confirme que cette nuit de la poésie en avait à offrir pour tous les goûts.

JF No

Il est presque une heure. Le public enfiévré est relâché dans les jardins gelés entourant la villa italianisante. Une chose est claire pour tout le monde : ce rendez-vous sera beaucoup plus qu’une aventure d’un soir.