La Fabrique Culturelle

«J’accuse» : la culpabilité des femmes d’aujourd’hui

Les comédiennes Léane Labrèche-Dor et Catherine Trudeau discutent de la réalité des femmes au 21e siècle.

En ce 8 mars, on vous propose de (re)lire cette entrevue, fort à propos, avec Léane Labrèche-Dor et Catherine Trudeau. 

La femme d’aujourd’hui se sent souvent coupable. Coupable de ne pas assez travailler ou de travailler trop, coupable de ne pas faire assez d’exercice, coupable de trop manger, coupable de ne pas faire elle-même ses galettes santé, coupable de ne pas voir assez souvent ses ami(e)s, coupable de trop boire, coupable de ne pas être assez à la maison pour ses enfants, coupable de s’oublier, coupable de trop aimer, coupable de tout. Mais qui donc l’accuse de tous ces maux?

Les comédiennes Léane Labrèche-Dor et Catherine Trudeau étant de passage à Québec pour la pièce féministe J’accuse (La Bordée), j’ai saisi l’occasion d’en discuter avec elles. Afin de structurer la discussion, je les ai invitées à lire mes questions sur des petits bouts de papier.

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Être une femme de votre génération en 2017, qu’est-ce que ça représente?

Léane : Au-delà d’être une femme en 2017, il y a des défis à surmonter en tant qu’être humain. Entre autres, prendre soin de la planète. Aussi, la  société est complètement individualiste, personne ne pense à la collectivité et personne ne pense à long-terme. Tout le monde vit dans ses petites affaires, avec ses petits problèmes, avec ses réussites, et tasse un peu les autres pour pouvoir avancer, parce qu’on leur a dit que c’était ça la vie. Présentement au Québec, on n’est pas en danger imminent, on n’est pas en situation de survie, on est plutôt dans de la ouate. Mais moi, j’ai surtout cette conscience-là : il faut trouver un moyen!

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Catherine : Est-ce que tu penses que ça va appartenir à ta génération de trouver un moyen?

Léane : Il faudrait qu’on commence à le faire de plus en plus, pour se donner une bonne erre d’aller. En tant que femme, j’en parle souvent avec des amies de mon âge et ça se rend au point où on se demande si on va faire des enfants. Jusqu’à quel point est-ce une bonne idée? Jusqu’à quel point est-ce que ça devient égoïste de dire : moi j’ai envie d’avoir un enfant, donc je vais le mettre au monde dans un climat et sur une planète qui ne vont pas nécessairement bien. Je pense que c’est ce qui peut jouer dans nos têtes et qui sera une source de conflit pour les femmes de ma génération et des plus jeunes.

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Quelles sont selon vous les principales différences avec la génération de vos mères?

Catherine : Moi, ma mère ne travaillait pas. Mais le problème aujourd’hui, c’est qu’on tend à vouloir faire exactement la même chose que nos mères faisaient c’est-à-dire coudre, tricoter, faire la bouffe, organiser des fêtes d’enfants, faire le ménage, «tout Pinterest», mais en travaillant. Et puis, on fait des burnout. On est très ambitieuses, et on n’accepte pas facilement de ne pas tout faire. À toutes les fêtes d’enfants où je vais, les filles s’excusent tout le temps quand c’est un gâteau acheté. Pourquoi tu t’excuserais de l’avoir acheté? Parce que la veille, pis l’avant-veille, pis la semaine d’avant, plein d’autres filles sont allées sur Pinterest (comme moi!), puis elles ont fait un gâteau parce que ça leur faisait plaisir de le faire, le gâteau. Ça apporte beaucoup de fierté de dire : «Regarde, je l’ai fait de mes mains le gâteau!».

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Ce qui me trouble beaucoup, c’est qu’on s’excuse de ne pas le faire nous-même, on s’excuse d’être allé chercher du traiteur, on s’accuse. On s’excuse de demander de l’aide. On se justifie de demander de l’aide. Ça, je trouve ça dur.

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Est-ce que le monde du travail est différent pour les femmes et les hommes?

Catherine : Moi, je le vois dans ma vie, en tant que mère qui travaille. La conciliation travail-famille, c’est le grand thème des années 2000. Est-ce que c’est correct si je retourne travailler si tôt? Est-ce que, dans le fond, je vais travailler pour payer une garderie? Est-ce que je suis normale si je suis malheureuse à la maison longtemps avec mes enfants? Est-ce que je suis normale de retourner travailler? En ce moment, avec les mères surtout, oui, je pense qu’il y a une différence.

Léane : Moi je n’ai pas d’enfants, mais ne serait-ce que monétairement, il y a encore beaucoup d’histoires d’horreur, même en théâtre. Quelqu’un qui a un plus gros salaire avec un plus petit rôle et moins d’ancienneté que toi, parce que c’est un homme, ça arrive. J’accuse, c’est cinq monologues de femmes, c’est écrit par une femme, et ils ont voulu que tous les concepteurs soient masculins, pour venir balancer la patente. Je suis vraiment contente d’avoir travaillé avec tout ce beau monde-là, et je trouve que ça a apporté quelque chose, mais une pièce où c’est quatre gars, personne ne se dit : on veut que l’éclairagiste soit une fille!

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Qu’est-ce qui menace les femmes de 2017?

Catherine : C’est nous-même qui nous menaçons. En nous «bashant» mutuellement. Prenons l’histoire de Safia Nolin par exemple! Je me dis, hey groupe! Vous ne devriez pas la supporter, cette belle artiste femme merveilleuse, au lieu de dire : «t’aurais donc dû mettre des talons hauts comme toutes les autres filles»?

Léane : Si elle avait eu le corps et le visage de Vanessa Pilon, on se serait dit: «Osti, est hot! Elle est donc bien féministe! Elle est arrivée habillée de même, elle est donc bien cool, donc bien «trendy», elle s’assume comme femme!». C’est ça qui m’a fait le plus rager. Sarah-Jeanne Labrosse arrive de même, elle est dans les deux mieux habillées dans envedette.ca.

De nouvelles amitiés se sont-elles développées parmi les comédiennes qui jouent dans la pièce?

Catherine : Que des amies! C’est particulier un show comme ça, où on a des partitions égales, ça n’arrive jamais! Habituellement, il y a toujours un premier rôle ou deux têtes d’affiches, et une poignée de porte…Là, c’est une échelle égale. On est dans le même bain, les cinq. (…) Habituellement, on est tout le temps pognée toute seule avec nos bibittes (…) là, on s’aide. Nous sommes nos thérapeutes, nos masso, nos herboristes, nos maquilleuses, nos coiffeuses. C’est vraiment un SPA all day long!

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Léane : Dans ce milieu-là, il y a tellement de compétition, mais là, on n’est pas là. (…) S’il y en a une qui est stressée un soir parce qu’il y a quelqu’un qu’elle aime beaucoup qui vient la voir, les quatre la supportent.

Catherine : Tsé les Calinours, là, ils ont leurs rayons? Bin c’est ça! (…) On est totalement solidaires!

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