La Fabrique Culturelle

Médiation culturelle: cinq projets pour une société plus inclusive 

Qui a dit que l’art n’était pas bénéfique pour tout un chacun? Voici cinq projets soutenus par la Ville de Montréal qui ont créé des dialogues riches entre artistes et citoyens et citoyennes, par le cinéma documentaire, le théâtre, la musique et même le tricot.   

Aussi belle que nécessaire, la médiation culturelle a fait son apparition il y a quelques décennies de cela. Déjà, à l’époque, elle visait à offrir des activités participatives, par exemple des visites commentées et des ateliers de découverte et cocréation artistiques. 
  
Bien plus qu’une initiation à l’art, ces activités ont évolué au fil des années avec l’aide d’acteurs sociaux clés (organismes artistiques, municipalités, milieux de la santé et de l’éducation, etc.), afin de valoriser les expressions citoyennes.   
  
Aujourd’hui, la médiation culturelle est de plus en plus conçue, financée et pratiquée tel un outil qui provoque des rencontres humaines improbables et qui ouvre les horizons. À l’aide de ses stratégies plurielles et adaptées aux citoyens et citoyennes, elle arrive à lever le voile sur diverses réalités vécues au sein de la société. En voici la preuve. 

 

CRÉATION MONSTRE

Soutenue par Le Collectif Ex-placé DPJ, l’initiative Création Monstre a permis à 10 ex-jeunes de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) de nourrir les artistes Marie-Ève Bélanger et Marie-Andrée Lemieux — en résidence à la Maison de la culture Claude-Léveillée dans la création la pièce de théâtre Monstres.   
  
Portée par une poésie poignante et ponctuée de témoignages personnels, Monstres témoigne de la réalité fictive de Rubis Thivierge-Denis, une enfant ballottée de maison en maison dans une boîte en carton.   

La démarche 

Afin de bien conseiller Marie-Ève et Marie-Andrée (des Créations Unuknu), les participants et participantes ont pris part à six activités de médiation au cours desquelles tout le monde a laissé filer son imagination autour de divers volets: espaces d’échanges, découvertes artistiques et fertilité créative.  

À titre de membres d’un comité consultatif, les participants et participantes ont également apporté leurs commentaires sur le travail d’écriture des deux artistes, en s’appuyant sur leurs propres expériences de vie ainsi que sur leurs sensibilités. Afin que tombent les barrières psychologiques et créatives, ces personnes ont évolué dans un environnement sécuritaire et dénué de jugements.   

Les retombées   

L’initiative a invité les participants et participantes à exprimer leurs émotions par le truchement de nouvelles disciplines artistiques: arts visuels, théâtre d’objets, création de costumes et d’univers… Elle a aussi permis d’aller chercher une vision de l’intérieur, auprès des jeunes de la DPJ, plutôt que de plaquer des impressions de témoins extérieurs. «Le diffuseur a offert une résidence de deux ans aux artistes, ce qui nous a donné le temps de bien faire les choses et de suivre un rythme propice à la création d’un lien exceptionnel avec les jeunes», relate la médiatrice culturelle du projet, Valérie Richard. 

Quant à la lecture publique de Monstres, présentée en avril 2023, elle a ouvert le dialogue entre les participants et participantes, le public et les artistes, et ce, bien avant la présentation officielle de la pièce l’année suivante. Elle a également apporté un éclairage sur la réalité des jeunes et de la DPJ afin de renforcer la solidarité au sein de la communauté.  
   

LA PANTOUFLE DU QUARTIER

Tricot-thé avec Janelle Gauthier. Photo: Denise A. Olivares
Un atelier d'embellissement avec Asma Benaziz (en partenariat avec SAC Anjou) montre Carolina Echeverria qui parle du projet. Photo: Denise A. Olivares.
Atelier avec Sarabeth Triviño à Atelier Carolina Echeverria. Photo: Denise A. Olivares.
Exposition «La pantoufle du quartier» à Atelier Carolina Echeverria. Photo: Denise A. Olivares.
Carte postale distribuée pendant l'exposition «La pantoufle du quartier»
Carte postale distribuée pendant l'exposition «La pantoufle du quartier»

Tricot-thé avec Janelle Gauthier. Photo: Denise A. Olivares
Un atelier d'embellissement avec Asma Benaziz (en partenariat avec SAC Anjou) montre Carolina Echeverria qui parle du projet. Photo: Denise A. Olivares.
Atelier avec Sarabeth Triviño à Atelier Carolina Echeverria. Photo: Denise A. Olivares.
Exposition «La pantoufle du quartier» à Atelier Carolina Echeverria. Photo: Denise A. Olivares.
Carte postale distribuée pendant l'exposition «La pantoufle du quartier»
Carte postale distribuée pendant l'exposition «La pantoufle du quartier»

Développé par l’atelier d’art Native Immigrant, le projet La pantoufle du quartier a invité des communautés de Montréal-Nord et des membres des Premières Nations à créer des pantoufles. Mais attention, pas n’importe lesquelles: celles en Phentex, une fibre synthétique rigide développée par un technicien en textile dans le Québec des années 1960!   

Véritables œuvres artisanales multiculturelles, les pantoufles ont ensuite été présentées dans une exposition orchestrée par l’artiste et médiatrice Carolina Echeverria en juin 2023 au Belgo, à Montréal.  

La démarche 

Les participants et participantes de cultures et d’âges variés ont d’abord tricoté des pantoufles en groupe. Pour bien maîtriser les techniques, ces personnes ont regardé des tutoriels vidéo et reçu des conseils de Janelle Gauthier, une spécialiste du tricot qui leur faisait part en même temps de ses histoires de «Québécoise de souche». Tout un chacun a aussi bénéficié du patrimoine immatériel et des traditions orales.  

Puis d’autres participants et participantes ont embelli les pantoufles fraîchement tricotées avec différents ornements colorés (perles, fils, pompons, etc.), le tout sous la supervision d’artistes issues des communautés autochtones (Molly Chamagne) et de l’immigration (Sarabeth Triviño, Ann Braybon-Smith et Asma Benaziz).

Les retombées

En suscitant des rencontres axées sur les échanges de savoir-faire et de vécus, La pantoufle du quartier a permis de lutter contre l’isolement des personnes autochtones, aînées et immigrantes, qui se sont découvertes à travers la fabrication d’objets du quotidien. 

Ce projet a aussi été le point de départ d’une discussion plus étendue sur le rôle joué par les immigrants et immigrantes dans la société québécoise d’aujourd’hui. «La pantoufle est belle, comme la culture locale lorsque nous intégrons la diversité, explique avec fierté Carolina Echeverria. Les membres du groupe ont littéralement pu se toucher la main en s’apprenant mutuellement à tricoter.»    

Ayant réussi à créer un fort sentiment d’appartenance à un groupe multiculturel et multigénérationnel, le projet est appelé à s’étendre sur un plus large territoire.   

 

PAR MA FENÊTRE

Conduit par l’organisme Le Bureau — Firme artistique avec l’étroite collaboration du Regroupement pour la trisomie 21 (RT21), ce projet a réuni 12 jeunes adultes vivant avec la trisomie 21 autour d’un but commun: créer le court documentaire Par ma fenêtre, qui met de l’avant leurs capacités artistiques. 
   
Sous forme de conversations intimes et amusantes, ce documentaire dévoile les rêves des participants et des participantes, leur personnalité unique, leurs peurs ainsi que leurs capacités artistiques. «Moi, mon plus grand rêve, c’est d’aller à Hollywood pour y chanter de grands titres», raconte par exemple à l’écran une membre du groupe.   

La démarche 

Pour pouvoir briller au grand écran à l’instar des «étoiles hollywoodiennes», les participants et participantes ont d’abord suivi des ateliers virtuels de jeu d’acteur (exercices de diction, d’expression corporelle, de mémorisation de textes et d’improvisation) pendant la pandémie de COVID-19 avec la comédienne et le comédien professionnels Geneviève Néron et Luc Thiffault.    

Puis les membres du groupe ont créé leur propre scène à l’occasion d’un laboratoire de création filmé. Si certaines de ces personnes ont dansé devant la caméra, d’autres ont enfilé leurs plus beaux costumes de scène (dont un veston à paillettes rouges!). 

Les retombées  

Sur le plan humain, le projet a permis aux participants et aux participantes d’identifier leurs forces, de développer leur assurance et de dévoiler leur créativité souvent insoupçonnée.  
  
Quant au documentaire en lui-même, il a ouvert les esprits et accru la visibilité des personnes vivant avec la trisomie 21, notamment lors d’une projection spéciale suivie d’une prise de parole publique au Cinéma Beaubien à l’été 2022. «Je suis fier en tabarouette!» avoue un participant à la caméra. «C’était génial», ajoute un autre.  

Dans la foulée, le film a aussi contribué à une meilleure compréhension de la réalité des gens vivant avec la trisomie 21 ainsi qu’à une plus grande représentativité de ceux-ci dans l’écosystème culturel montréalais.   

 

VIENS-T’EN DANS RUE     

Menée par le Théâtre de la LNI (Ligue nationale d’improvisation) sous le thème «Improvisation: espace de parole et lieu de rencontre», cette initiative a permis à six camelots du journal de rue montréalais L’itinéraire de créer collectivement une œuvre théâtrale du même nom.   
  
Écrite avec sensibilité par l’autrice dramatique Pascale St-Onge, la pièce de théâtre Viens-t’en dans rue raconte des bribes d’histoires vécues par les participants et participantes autour de l’itinérance, de la dépendance, des troubles de santé mentale et de la réinsertion sociale.  

La démarche

En production, les camelots ont suivi une série d’ateliers supervisés par l’improvisatrice émérite de la LNI et metteuse en scène Sophie Caron. Au fil de leurs improvisations, échanges et témoignages, ces personnes ont donné de la matière brute à l’autrice chargée d’écrire la pièce.   

En guise de rodage, ces dernières ont ensuite présenté les 10 premières scènes à la maison de la culture Janine-Sutto en juin 2023 devant un public restreint, en formule intime. Après la représentation, les camelots ont entamé une discussion avec l’auditoire présent dans la salle. «C’était toujours une période joyeuse, peu importe ce que l’on vivait de difficile dans notre vie», se souvient un camelot-improvisateur.   

Les retombées  

L’initiative a contribué à détruire certaines idées préconçues sur le monde de la rue. Les discussions avec le public ont permis d’établir une communication riche et humaine entre citoyens et citoyennes d’horizons variés, donnant droit à des moments de grande émotion. 

L’initiative a également solidifié l’esprit d’équipe des participantes et des participants, leur discipline personnelle ainsi que leur confiance en eux-mêmes. «Ça m’a permis d’apprendre que, finalement, je suis capable de bien me souvenir des phrases», constate par exemple l’une des camelots, ce qui s’avère pratique parce que «la vie, c’est aussi de l’improvisation.»    

   

LA MARÉE DES ÂGES

VOIR LA VIDÉO ICI

Développé par le musicien et musicothérapeute Sami El-Agha, le projet intergénérationnel La marée des âges — une correspondance en musique et bien-être a invité 9 personnes aînées et 12 ados d’Anjou à créer une chanson collective intitulée LOVE.  

D’une durée de deux minutes, LOVE rassemble toutes les propositions musicales des participants et des participantes autour d’un univers électro-pop-urbain singulier. Elle sert de prétexte pour construire un pont entre des personnes aînées, bâtisseuses du quartier, et des jeunes qui veulent y occuper une place.  

La démarche 

Pour arriver à un tel résultat, les participants et participantes ont évolué au sein de deux groupes distincts selon leur âge, sans savoir que tout ce beau monde allait se réunir à la toute fin.   
  
Au fil des semaines, ces personnes ont joué avec des percussions, exprimé leurs réflexions sur des œuvres musicales, transposé la musique en arts visuels, dressé une liste d’écoute, et bien plus encore. D’un groupe à un autre, elles se sont aussi échangé des sons et des messages vocaux à la manière d’une correspondance.    

Avec beaucoup d’étonnement dans le regard, tout le monde s’est finalement retrouvé dans un même local pour créer LOVE avec le compositeur Alexis Leroy-Pleshoyano (Mada Mada), connu pour ses musiques de films et de téléséries.   

Les retombées   

Sensible aux enjeux du quartier, le projet a enclenché un processus de guérison. En stimulant le dialogue intergénérationnel de même qu’un sentiment d’appartenance à une communauté, il a poussé les personnes aînées à sortir davantage, et les jeunes, à s’intéresser à la culture et au développement social. «On a pu avoir quelque chose de plus complet puisqu’on était très différents sur plusieurs aspects, et je pense que ça a permis d’avoir le meilleur de tous. […] C’était unique et hors du commun», racontent deux participants. 

Dans la vidéo qui documente le projet, Sami El-Agha ajoute: «C’est un pas vers des dialogues entre plein de gens différents dans la communauté. Je pense que, dans Anjou, c’est bien qu’on se parle un peu plus. »

Décliné en une exposition qui a eu lieu à la bibliothèque Jean-Corbeil en septembre 2023, le projet a aussi permis à quelque 1000 personnes d’entendre la chanson LOVE, de regarder la vidéo documentaire connexe et de se familiariser avec des instruments à l’aide d’un parcours d’expérimentation.

La preuve est faite: avec la médiation culturelle et le soutien des municipalités, il y a tout un monde à (re)découvrir, à (re)dessiner et à (re)penser, une activité à la fois.   

 

CRÉDITS  
Rédactrice: Édith Vallières  
Coordonnatrice régionale: Isabelle Longtin  
Technicien et technicienne de production: François Bacon et Noémie Lacoste   

Image: Circuit-Est centre chorégraphique, pour le projet ÇA danse en MOI!, réalisé en 2023 avec des personnes ayant été victimes ou témoins d’actes criminels.