La Fabrique Culturelle

L’âme littéraire: l’essayiste Étienne Beaulieu rencontre Hélène Dorion 

L’automne fait place depuis quelques années à des rencontres incontournables à la Maison de la littérature, à Québec: la série L’âme littéraire. Les discussions, menées par l’écrivain Étienne Beaulieu, s’attardent à un genre méconnu du public: l’essai littéraire. Nous lui avons laissé la parole afin qu’il nous parle de sa première rencontre de cette année avec l’écrivaine Hélène Dorion.

 

Photo: Llamaryon

 

Mon âme littéraire

Je m’appelle Étienne Beaulieu, je suis écrivain, éditeur et professeur, et j’ai la chance d’animer une série de rencontres devant public à la Maison de la littérature. J’adore cet endroit ancré dans le patrimoine et en même temps parfaitement contemporain. On y sent un certain sens du sacré transféré à la littérature québécoise d’aujourd’hui, ce qui me réjouit au plus haut point et me fait sentir enfin l’importance du fait littéraire dans notre culture.

Un privilège incroyable dont je ne me remets toujours pas après trois ans est que cette série de rencontres porte le nom d’un de mes livres, L’âme littéraire. C’est inespéré, pour un écrivain, d’avoir tout l’espace pour déployer son propos et donner la parole à des voix majeures de notre littérature et, surtout, à des essayistes québécois. C’est le but que je me suis donné avec ces rencontres: de les faire découvrir au public, de lui faire entendre toute la richesse et la profondeur des essais littéraires québécois.

 

Photo: Llamaryon

 

Rencontre avec Hélène Dorion

Cette série de rencontres autour des essayistes québécois en est maintenant à sa troisième année, et c’est à Hélène Dorion, ma première invitée de la saison, de s’entretenir avec moi. Je me fais une joie de la recevoir et d’écouter toute la tendresse et la lucidité qui donnent à sa voix une teinte si particulière, feutrée et lissée, je dirais même, par toutes les expériences de la vie.

On connaît bien l’œuvre poétique d’Hélène Dorion, tissée patiemment et avec exigence au fil des décennies. On connaît aussi sa plus récente œuvre romanesque, mais on oublie souvent qu’elle a écrit des essais en assez grand nombre, recueillis dans un livre magnifique, Sous l’arche du temps (Typo, 2013), dans lequel elle avance que, pour elle, «l’essai constitue un apprentissage du doute, notamment en ce qu’il consiste davantage à mettre à l’épreuve des certitudes qu’à les attester».

 

Photo: Llamaryon

 

L’essai n’est pas une étude où il faut démontrer quelque chose, convaincre ou monter une argumentation; non, ça, ce sont des études, souvent didactiques, avec notes de bas de page à l’appui. Aux yeux d’Hélène Dorion, avec qui je partage tellement de choses, l’essai vise plus à nous plonger dans le doute, à nous enlever des certitudes plutôt qu’à nous en donner.

C’est sans doute cette hauteur de vue, cette façon de concevoir la vie au-delà de tous les clivages qui permet à Hélène Dorion de ne pas s’arrêter aux formes et aux genres littéraires pour s’exprimer, mais bien de les traverser toutes dans la même coulée vocale. Poésie, prose, essai, fiction, roman: sa parole multiple se rassemble en une poésie de pensée qui n’appartient à rien d’autre qu’à elle-même.

Je retrouve dans sa voix même la touche précise des essayistes, qui ne se reconnaissent le plus souvent pas dans l’appartenance au genre de l’essai, comme Robert Lalonde ou même Yvon Rivard l’avaient souligné devant un public stupéfait lors des premières années de cette série. Il n’y a là aucune surprise pour moi, qui côtoie l’essai québécois, le publie, l’encourage et promeut sa défense et son illustration, et y donne toute mon énergie depuis plus de 25 ans maintenant. C’est une constante chez tous ces écrivains et écrivaines que le public associe pourtant spontanément à l’essai: les essayistes ne sont pour eux-mêmes d’aucun genre en particulier; ces gens de lettres font partie d’un groupe qui se refuse à faire partie de tout regroupement. La voix essayistique est souveraine; elle ne suit aucune autre règle que la puissance évocatoire qu’Hélène Dorion sait faire jaillir comme une parole ancienne et presque incantatoire.

 

Photo: Llamaryon

 

Dans son dernier recueil, Mes forêts, ce chant de la parole tire son origine d’une force qui remonte à la création mythique du monde, à la manière d’un Hésiode. Elle sait aussi se faire contemporaine de nous-mêmes quand elle nous emmène marcher parmi les arbres afin de nous nettoyer de toutes les scories de nos vies, ou encore de cicatriser les entailles de notre peau ou de notre pensée.

Ce n’est pas que ses forêts auraient la réponse à tout, mais plutôt qu’elles nous attendent au lieu et au moment précis où les vents, les pluies et les grands murmures des branches sont arrivés à faire disparaître toutes les questions. Elles nous laissent regarder le monde avec une lucidité qui n’a soudainement plus rien d’une blessure et qui forme le plus bel essai de tous: celui d’une vie humaine.

 

Crédits

Rédaction: Étienne Beaulieu
Coordination: Marie-Claude Leclerc
Photo de couverture: Llamaryon