La Fabrique Culturelle

Nicole Brossard: l’écriture en mouvance

nous sommes plusieurs avec un surplus de mémoire à rêver —Nicole Brossard

Chaque année, le festival Québec en toutes lettres met en lumière les mots d’un écrivain ou d’une écrivaine pour donner le ton à l’événement. Cette année, ce sont ceux de Nicole Brossard qui seront bien en vue. Cette poète, romancière et essayiste a publié plus d’une trentaine d’ouvrages au fil de sa carrière. Ses œuvres ont été traduites dans plusieurs langues et sont célébrées partout dans le monde. Elle a d’ailleurs reçu, en 2020, le prestigieux prix Gilles-Corbeil de la Fondation Émile-Nelligan, l’équivalent québécois du prix Nobel de la littérature, pour l’ensemble de sa carrière.

La Fabrique culturelle a eu l’immense chance de s’entretenir avec cette grande créatrice.

 

1- Gabor Szilasi, Collection BANQ 2- Robert Etcheverry

Une parole rassembleuse

Les mots cités ci-dessus et choisis par l’équipe de Québec en toutes lettres proviennent du poème «RER/ Roissy-Saint-Michel», publié dans le recueil Je m’en vais à Trieste (Écrits des Forges, 2003) de Nicole Brassard. Pour cette dernière, c’est un plaisir de voir ressurgir ces vers dans un contexte plus vaste: «C’est la réapparition d’un nous, qui est toujours important dans un monde où c’est le “moi” qui l’emporte et où le “moi” est jusqu’à un certain point “marketé”.»

C’est donc un appel à la communauté, au rassemblement, mais aussi à l’acte d’écriture.

Le surplus de mémoire, c’est ce qu’on n’arrive pas à partager, à communiquer, à utiliser, qui reste enfermé dans chaque tête. Ce surplus peut être positif ou négatif, dans la joie ou la douleur, mais incite inévitablement à l’écriture, à trouver les mots pour le dire. — Nicole Brossard

De désir et d’ailleurs

Nicole Brossard endosse l’étiquette d’écrivaine du désir, des sens et de la sensualité, mais surtout du «désir de l’inédit, de l’exploration», comme elle le dit elle-même. Pour elle, le désir va bien au-delà de la sexualité et semble toujours présent sous différentes formes. Ce qui importe, c’est de cultiver un état constant de désir: celui de connaître, de découvrir, d’apprendre et d’explorer.

Le désir est toujours là, inévitablement, mais je comprends qu’il soit facile de le perdre dans un monde où il faut départager constamment le vrai du faux. — Nicole Brossard

Le désir se nourrit d’ailleurs et de mouvement. Aux yeux de Nicole Brossard, ce n’est pas que la destination qui compte, mais également ce voyage vers l’ailleurs. «C’est ce temps du mouvement, précise-t-elle, que ce soit en avion, en train, même dans l’autobus à Montréal, dans ma propre ville; c’est un lieu où il se passe très souvent quelque chose. Mais être ailleurs, c’est aussi vivre pendant un certain temps différemment; c’est pousser plus loin sa sensibilité.»

 

Collection privée Nicole Brossard

Se nourrir du nous

Au fil de sa carrière, Nicole Brossard a multiplié les collaborations. Seuls le respect et les affinités avec les créateurs et créatrices guident ses choix d’explorations artistiques. Récemment, elle a publié un livre de poésie accompagné des tableaux sonores de Symon Henry, intitulé L’ongle le vernis. Elle a aussi fait paraître en 2022 Géométries du Mauve Motel, une correspondance avec le poète Simon Dumas portant sur Le désert mauve, un roman phare de l’écrivaine.

J’ai toujours travaillé dans la complicité et dans un type de questionnement qui se ressemble. Quand il y a une différence, cette différence est riche et devient porteuse de renouveau. — Nicole Brossard

Le respect pour le travail de création de ses collaborateurs et collaboratrices devient source d’inspiration pour l’écrivaine. La découverte du travail de l’autre dans toute son ouverture et sa candeur apporte un plaisir renouvelé à l’élaboration d’une nouvelle œuvre.

À travers le regard de la femme de lettres Chloé Savoie-Bernard et du chercheur et professeur Karim Larose, l’écrivaine a redécouvert une partie de ses propres publications. Ces personnes ont travaillé à une anthologie de ses essais parus entre 1969 et 2019. Le projet est né d’une réflexion de l’écrivaine voulant qu’une collection de ses essais soit offerte depuis un moment en anglais, mais pas encore en français.

Nicole Brossard garde un beau souvenir de cet exercice: «C’est un parcours extrêmement intéressant; ça permet de voir le processus, comment la pensée bouge, parfois lentement, parfois en accéléré. Ça permet de voir comment les thèmes qui reviennent se déplacent, pour finalement analyser d’autres sujets.»

Ce sont donc 50 ans d’essais qui sont rassemblés chronologiquement dans ce recueil portant le titre de L’Entaille et la Durée, à paraître le 30 octobre aux Éditions du Boréal.

Des objets de pensée

Qualifiée d’inclassable, l’œuvre de Nicole Brossard paraît toujours en mouvance. Selon l’écrivaine, l’acte d’écriture ne se cantonne pas à un seul genre ou style littéraire: «Lorsqu’on écrit, on crée, dit-elle. On ne fait pas que traduire ou répéter une réalité; on l’invente dans le geste même de l’écriture.»

Elle ajoute:

J’ai toujours dit qu’il y a beaucoup d’éléments qui n’existeraient pas sans l’acte d’écriture, parce que quand on parle, c’est trop rapide; quand on pense, c’est aussi très rapide; et seule l’écriture peut nous permettre de créer des objets de pensée et des objets d’émotion qui sont nouveaux, qui nous propulsent ailleurs et qui nous enrichissent. — Nicole Brossard

Espérons que ce «surplus de mémoire à rêver» qu’elle porte en elle enrichisse encore longtemps le paysage littéraire québécois.

Nicole Brossard sera en entretien avec Anne-Josée Cameron à l’occasion du Festival Québec en toutes lettres le 13 octobre à 17 h.


Pour découvrir Nicole Brossard

 

Le désert mauve

 

Temps réel du poème

 

Géométries du Mauve Motel

 

L’ongle le vernis

 

L’Entaille et la Durée
(À paraître le 30 octobre prochain)

 

CRÉDITS
Recherche et entrevue: Elizabeth Lord
Rédaction: Elizabeth Lord et Marie-Claude Leclerc

PHOTO COUVERTURE
1970, Gabor Szilasi, Collection BAnQ