La Fabrique Culturelle

Mettre en scène l’intime: l’importance de la direction d’intimité

Dans les coulisses du théâtre Premier Acte 

Depuis le 14 février, le théâtre de Québec Premier Acte présente la pièce L’œil, dans laquelle deux femmes se rencontrent dans une joute oratoire portant sur le corps, l’art, la création et le désir. Comme la pièce écrite et mise en scène par Rosalie Cournoyer comporte des scènes de nudité, l’équipe de création s’est dotée d’une alliée afin de mieux naviguer dans les questionnements soulevés par ce choix scénique: la stagiaire en direction d’intimité Maude Boutin St-Pierre.  

Cette dernière explique que son rôleest d’accompagner l’équipe dans tout ce qui a trait aux scènes d’intimité, de sexualité simulée et de nudité. «C’est autant de faciliter la communication entre la mise en scène, les interprètes et le reste de l’équipe de création que de chorégraphier les scènes de l’intime en soi», précise-t-elle.

L’influence de #MoiAussi

Si l’expression «coordination d’intimité» vous dit quelque chose, c’est probablement parce que ce métier s’est principalement répandu à la suite du mouvement #MoiAussi, par exemple sur les productions à grande échelle de la chaîne télévisée HBO, aux États-Unis. L’avènement de ce rôle date cependant de 2006 et a d’abord fait son apparition dans les arts de la scène, où l’on utilise plutôt le terme «direction d’intimité».  

On peut facilement faire le parallèle avec la coordination de cascades au cinéma ou la direction de combats, qu’on chorégraphie jusque dans les moindres gestes afin d’éviter que les artistes se blessent. Les séquences d’intimité sont envisagées de la même manière, afin de garantir qu’elles se déroulent de façon sécuritaire pour tous et toutes. À la différence du cinéma — où les scènes sont tournées dans un milieu encadré durant un court laps de temps —, au théâtre, les représentations s’échelonnent souvent sur plusieurs jours, et un inconfort pourrait surgir en cours de route. «Nous sommes des humains, avec des besoins différents d’un soir à l’autre, et l’environnement n’est pas exactement le même tous les soirs, fait valoir Maureen Roberge, une des comédiennes de la pièce L’œil. Par exemple, nous sommes des femmes avec des cycles changeants. Tout ça est pris en compte dans la direction d’intimité.»  

La direction d’intimité s’assure ainsi que le consentement des interprètes est toujours valide et que tous les partis impliqués demeurent en accord avec les choix de mises en scène. Les paramètres de ces choix sont d’ailleurs consignés dans une entente que tout le monde doit signer.

Costumes et éclairages inclus 

On ne s’improvise pas professionnel de la direction d’intimité du jour au lendemain; une formation est en effet nécessaire. Maude en apprend actuellement les rouages sous la supervision d’une mentore, Stéphanie Breton, établie à Montréal. Selon Maude, quiconque s’intéresse à ce nouveau métier devrait être doté d’un bon sens de l’écoute (autant pour ce qui est des mots que du langage non verbal), être fasciné par les chorégraphies de l’intime et avoir un souci constant des dynamiques de pouvoir au sein des équipes de travail, puisque cela peut influencer le consentement. «Et, bien sûr, il faut avoir de bonnes aptitudes pour communiquer», ajoute-t-elle. 

Le travail de direction d’intimité débute dès les balbutiements de la pièce. De cette façon, les attentes et les orientations de l’équipe de création sont claires et bien définies, et les comédiens et comédiennes peuvent savoir à quoi s’attendre.  

Des discussions sur le consentement ont lieu tout au long du processus, puisque le bon déroulement de l’exercice repose sur cette compréhension des limites exprimées par les interprètes pour respecter leur intégrité. Comme les costumes et l’éclairage peuvent avoir une incidence immense sur l’expérience de jeu, ces départements travaillent de concert dès le départ. 

Marie-Ève Lussier Gariépy, comédienne dans L’œil, souligne que cette pratique en émergence apporte une nouvelle manière d’envisager le travail gestuel, du fait de l’attention particulière qui lui est conférée.  

Plus qu’une simple simulation

La comédienne Maureen Roberge précise un aspect fondamental du travail du jeu:  «Selon moi, ce n’est pas vrai qu’au théâtre, on ne fait que simuler. Les gestes que l’on fait, ils sont chargés. Ce que la direction d’intimité amène, c’est un terrain de jeu sécuritaire et de nouvelles règles du jeu entre les partenaires. Le corps vit quand même les choses; il n’y pas de dissociation ni de boutons on et off. Certaines choses restent perméables.»  

La direction d’intimité est là pour apporter un sentiment de fermeture, afin que le corps comprenne que, en fin de compte, ce n’était qu’un jeu. 

Créer dans le confort?

La personne responsable de la direction d’intimité n’a pas nécessairement le mandat de rendre les gens «à l’aise»; il s’agit plutôt de les mettre en confiance et en sécurité, nuance Maude Boutin St-Pierre.  

Dans le milieu théâtral, on craint parfois de ne pas pouvoir créer dans le confort. «C’est assez vrai que ça prend une dose d’inconfort pour faire de l’art», reconnaît la stagiaire en direction d’intimité. Son rôle reste cependant de veiller à ce que les interprètes évitent tout danger, physique ou psychologique, «tout en étant capable d’accéder à la zone d’inconfort nécessaire à la création, avec le consentement de toutes les personnes impliquées».  

Cette nuance en dit beaucoup sur la considération que Maude Boutin St-Pierre a pour sa fonction — tout comme pour la liberté de création —, au bénéfice de tous et toutes, y compris le public. 

L’œil 

Texte et mise en scène: Rosalie Cournoyer. Comédiennes: Maureen Roberge et Marie-Ève Lussier Gariépy. Présentée au théâtre Premier Acte, à Québec, du 14 février au 25 février 2023. 

Photos: David Mendoza Hélaine

Coordination: Marie-Claude Leclerc
Rédaction: Elizabeth Lord