La Fabrique Culturelle

Au musée, médiation culturelle rime avec mission sociale

Depuis les 20 dernières années, la médiation culturelle est devenue une pratique courante dans les musées afin de démocratiser les arts à l’échelle humaine et de favoriser l’inclusion sociale. Petit tour d’horizon.

Nous connaissons tous une personne qui a déjà clamé «les musées, ce n’est pas un endroit pour moi, car je ne connais rien à l’art». Depuis les dernières années cependant, les institutions muséales multiplient leurs activités de médiation culturelle en vue de chasser cette aura d’inaccessibilité, de créer des liens de rencontre privilégiés entre les artistes et les citoyens et de rendre compréhensibles et engageantes les œuvres et productions culturelles présentées sur place.

«Développée au Québec dans les années 1960, la médiation culturelle est comme un pont coloré et vraiment plaisant à traverser qui relie l’art à ses publics au moyen de mesures et d’initiatives participatives. Les deux parties impliquées peuvent faire un bout de chemin ensemble, et c’est ça qui est important», précise Catherine Sanfaçon Dubé, responsable de l’éducation et de la médiation au Musée des beaux-arts de Sherbrooke (MBAS).

Les initiatives de médiation culturelle peuvent prendre différentes formes: visites commentées sur un volet d’une exposition, ateliers de création en lien avec la pratique d’un créateur, ajout d’un audioguide ou d’un fichier balado dans une exposition, et bien plus encore.

Même les explications d’un médiateur culturel s’ajoutent à la liste. «Si une personne vient au musée pour apprendre, le médiateur adoptera une posture de pédagogue, explique Catherine Sanfaçon Dubé. Si un visiteur souhaite voyager, le médiateur lui proposera d’utiliser des outils numériques présentant des contenus surprenants. Le MBAS veille à ce que les publics se reconnaissent dans la culture, dans leur culture.»

D’où vient ce virage?
Ce souhait d’accessibilité ne date pas d’hier, même s’il grandit sans cesse au fil des ans. En 1972, des experts des quatre coins du globe se sont réunis à Santiago, au Chili, pour revoir les principes des musées et établir leur vision future. «Selon eux, ce n’était plus suffisant de conserver et de présenter divers objets dans de grosses vitrines. Il fallait trouver des moyens de rejoindre et d’éduquer de nouveaux publics, bien au-delà des personnes savantes ou académiques», dit Catherine Sanfaçon Dubé. Résultat: ils ont développé et adopté une déclaration en ce sens.

Dans la foulée, de nouvelles initiatives «marginales» pour l’époque, comme les écomusées et les musées communautaires, ont vu progressivement le jour en France, aux États-Unis et au Québec. Le but était de montrer que la population pouvait s’impliquer dans la gouvernance des musées et participer à des expositions collaboratives en respectant le principe de l’échange des pouvoirs (ou de la shared authority chez les Anglo-Saxons). Ces sujets étaient même abordés dans les cours de muséologie donnés à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et à l’Université Laval, à Québec, dans les années 1980.

«De nos jours, la nouvelle muséologie des années 1970 est devenue la muséologie normale. Nous faisons désormais participer les publics dans la représentation que nous faisons d’eux dans l’art, l’histoire et la science», affirme Catherine Sanfaçon Dubé.

Ça touche qui?
Même si le MBAS a des publics cibles — les familles avec de jeunes enfants, les érudits, les personnes âgées… —, il s’engage à rejoindre les «non-publics», c’est-à-dire les gens vivant avec un handicap ou des soucis économiques, les personnes issues de l’immigration ainsi que les adolescents, qui, en dehors des sorties scolaires, fréquentent très peu les musées. «Les institutions muséales peuvent être confrontées à des gens plus ou moins intéressés par leur programmation, fait remarquer Catherine Sanfaçon Dubé. Pour les attirer, elles doivent faire preuve d’empathie et déployer les ressources et le temps nécessaires.»

Le MBAS reste donc à l’écoute des revendications des communautés sous-représentées et collabore activement avec des organismes ou des établissements scolaires qui veulent faire partie de l’équation. Il a, par exemple, créé un projet d’art-thérapie pour un petit groupe de femmes centrafricaines en processus d’alphabétisation au Centre Saint-Michel en vue de les initier à diverses pratiques artistiques et d’enrichir leur vocabulaire. «Les arts, c’est ce qui nous lie à travers l’histoire et nos différentes communautés», souligne Catherine Sanfaçon Dubé.

C’est sérieux?
«La médiation culturelle, c’est scientifique, dit la responsable de l’éducation et de la médiation au MBAS. Ça touche à l’anthropologie, à la sociologie, à la psychologie… Bien que ce soit une discipline souvent associée aux loisirs, ces mesures permettent notamment de développer un mieux-être social, une meilleure littératie chez certains publics, un sentiment d’appartenance à un groupe et une meilleure estime de soi.»

Les initiatives de médiation culturelle sont créées avec rigueur. D’ailleurs, les institutions muséales reçoivent un sceau de qualité du ministère de la Culture et des Communications du Québec, accompagné d’un financement. «Un musée en bonne et due forme doit avoir un programme de médiation culturelle, qui peut être modelé selon sa vision stratégique et ses propres objectifs», ajoute Catherine Sanfaçon Dubé.

Un exemple notable?
Deuxième du genre dans un musée des beaux-arts québécois après celui de Montréal, l’atelier d’art communautaire La Ruche d’art du MBAS représente un modèle de réussite depuis sa création, en 2019, avec la participation de l’art-thérapeute Emmanuelle Meunier.

Le concept: les premiers dimanches de chaque mois, les participants de tous âges et tous horizons sont invités à créer des œuvres avec le matériel mis gracieusement à leur disposition dans l’atelier éducatif du Musée. Contrairement à ce qui se passe habituellement dans un cours d’art, ils n’ont pas d’instructions à suivre; ils échangent des savoir-faire et expérimentent de nouvelles techniques artistiques. Ils peuvent, au besoin, bénéficier de l’accompagnement personnalisé d’une médiatrice et d’une art-thérapeute. «La magie s’opère et les amitiés se forment, témoigne Catherine Sanfaçon Dubé. Une cégépienne a, par exemple, dessiné et sociabilisé avec un enfant de 4 ans qu’elle ne connaissait pas du tout à son arrivée.»

Pour un aperçu en son et en images de la Ruche d’art, cliquez ici

L’initiative des Ruches d’art a été répliquée par centaines dans le monde entier, le plus souvent dans des organismes culturels. Elle a aussi été implantée dans cinq lieux à Sherbrooke et ses environs, dont la Ruche d’art de l’ArtLab, située sur le campus de l’Université Bishop’s, à Lennoxville, et L’Aut Ruche d’art du Centre Multi Loisirs Sherbrooke.

La Ruche d’art du MBAS a cependant une particularité: en début de séance, elle présente une œuvre de la collection du Musée, souvent créée par un ou une artiste de la région. «Les participants prennent plaisir à s’expliquer le titre de la toile mise en vedette ou à commenter ses éléments visuels, explique Catherine Sanfaçon Dubé. C’est un moment privilégié de connexion avec une œuvre qu’ils n’iraient pas forcément voir de leur plein gré sur nos murs. Ils peuvent aussi s’inspirer des techniques de l’artiste vedette pour créer leur propre chef-d’œuvre.»

«Certains participants nous ont même écrit après l’atelier pour nous remercier, ajoute-t-elle. N’ayant pas touché à des pastels depuis 30 ans, ils ont reconnecté avec leur désir de création.»

Et l’avenir dans tout ça?
Ce ne sont pas tous les musées québécois qui concentrent leur énergie sur la médiation culturelle, car il n’y a pas de quotas d’initiatives à respecter annuellement. «À Sherbrooke toutefois, nos cibles sont quand même assez élevées puisque nous voulons adopter une posture de médiation en continu, mentionne Catherine Sanfaçon Dubé. Plus encore, notre secteur éducatif est en grande transformation depuis les trois dernières années.»

En 2023, le MBAS s’engage par exemple à rejoindre une nouvelle clientèle: les familles avec des enfants sourds ou malentendants. Il offrira des lectures d’histoires expressives dans son exposition permanente avec une personne interprète en langue des signes québécoise. L’activité se terminera par un atelier de création.

Nous vivons à une époque où les initiatives de médiation sont riches et transformatrices. «En fin de compte, tous les publics sont gagnants lorsque nous leur proposons des façons enrichissantes de transmettre les contenus», résume Catherine Sanfaçon Dubé.

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Aperçu de la programmation des Ruches d’art du Musée des beaux-arts de Sherbrooke jusqu’au 2 juillet 2023. De 30 à 70 participants. Aucune réservation nécessaire.

CRÉDITS
Rédaction: Édith Vallières
Coordonnatrice régionale: Mélodie Turcotte
Technicienne en production: Florence Crête-Lafrenière

PHOTOS
Les photos de cet article ont été prises par Jean-Michel Naud, du Musée des beaux-arts de Sherbrooke.