La Fabrique Culturelle

Cohen et moi ébénistes

Léonard Constant

Il y a bien longtemps, lors d'une de ces courtes retraites où nous nous isolions des assoiffés de santé pour tiroter sur une cigarette dans la chambre qui lui servait d'atelier de menuiserie, Nebojsa m'entretint de solvants, de teintures, d'encaustique, de vernis, m'instruisant goulûment, dans ses hoquets de roc, des dangers immanents à l'emploi des teintures et vernis à base d'huile, leurs émanations se délectant insidieusement du capital cellulaire de l'artisan-ébéniste en mal de masque à gaz. « You go crazy, man ! Crazy !! » expectorait-il montagneusement.

Couché dans mon canapé-lit, un élégant tue-dos début 21ième, je périscope un peu à droite. Mon regard se termine où commencent les livres que des nuits bibliophages ont empilés dernièrement sur ma table de chevet. Everest de cet Himalaya de lettres, la couverture des Parasites of Heaven arbore un cliché en noir et blanc, mais surtout en noir. Avec Flowers for Hitler, The Energy of Slaves et Death of a Lady's Man, c'est un des recueils de la longue nuit cohenienne chevauchant les années mi-soixante et pan-soixante-dix. S'il n'eut pas le succès d'un trompeusement romantique Spice-Box of Earth, par exemple, il recèle néanmoins quelques trésors patrimoniaux : parmi le lot, deux ou trois poèmes, dont Suzanne, y coulaient un célibat tranquille avant que leur papa ne les accouplât aux musiques qui les fit entrer dans la légende dès la parution des premiers Songs of Leonard Cohen. Alors ? Alors cette couverture. Nécrologique, Cohen y est fixé de profil, une tête d'enterrement, le front tout entier enfoui dans une paume d'ancien combattant de la migraine chronique. — Peut-être, comme moi et Nebojsa, a-t-il verni trop de meubles…

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